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Lucifer, ou Comment ajouter une dimension à ses personnages

Cette semaine, j’ai envie de vous parler de la série Lucifer, dont les 4 premières saisons sont disponibles en ce moment sur Netflix…

Non, ce n’est pas juste une excuse pour justifier ma consommation Netflix^^. A vrai dire, j’avais abandonné la série au bout de quelques premiers épisodes au premier visionnage. Avant de changer d’avis.

Lucifer : rédemption d'une série TV

Pourquoi vous parler de Lucifer ?

Promis, je ne me suis pas mise au satanisme^^.

J’avais attaqué la série l’année dernière. Sur le principe, c’était tout à fait mon genre de série. J’adore les séries policières un peu humoristiques avec un héros amateur qui s’infiltre dans les enquêtes de la police grâce à ses talents hors norme (c’est une description très précise, mais un genre pas si rare que ça). J’adore Castle et The Mentalist par exemple… (et mon propre roman pourrait presque correspondre à cette description^^).

Lucifer était donc fait pour moi (non, toujours pas sataniste^^).

Le pitch :

Lucifer, lassé de régner sur les enfers, abandonne la charge confiée par son père (Dieu donc, si vous suivez), pour aller s’installer comme propriétaire de boite de nuit à Los Angeles…

Impliqué dans une affaire d’homicide, il fait la rencontre du détective Chloé Decker, qui est étrangement immunisée contre ses pouvoirs (Lucifer est sexuellement irrésistible, et capable de faire avouer les désirs secrets de ses interlocuteurs). Pouvoirs qu’il utilise alors pour se faire engager en tant que consultant au LAPD et en apprendre plus sur Chloé Decker…

Sauf que j’ai regardé 3 ou 4 épisodes, et j’ai laissé tomber…

Mais j’ai fait une 2éme tentative, et je me suis rendue compte qu’entre la 1ére et la 2éme saison, la série avait corrigé la majorité de ses défauts. Avec tellement d’efficacité que je n’ai pas pu résister à essayer de comprendre comment et à vous partager mes conclusions^^

Les défauts de la première saison

Même lors de mon second visionnage, j’ai eu du mal à dépasser les premiers épisodes, malgré mon amour pour ce genre de séries.

  • La relation entre Chloé et Lucifer est insupportable

Comme dans beaucoup de séries similaires, tout le concept est basé sur la relation entre une policière ultra compétente et consciencieuse et un héros un peu excentrique qui l’oblige à sortir de sa façon habituelle de travailler.  Le problème avec Lucifer, c’est qu’il va un peu trop loin. Il ne respecte rien, et brise systématiquement toutes les règles (y compris celles de politesse et de bon sens). Les lois aussi… Chloé passe donc le plus clair de son temps à s’énerver contre Lucifer, à le menacer de le mettre dehors, etc. Le souci avec cette dynamique, c’est que Chloé a raison, du début à la fin (par exemple Lucifer s’introduit chez elle alors qu’elle est sous la douche et qu’ils se connaissent à peine), mais que comme Lucifer est drôle et qu’elle est exclusivement négative, son personnage devient agaçant et ennuyeux. Et comme Lucifer aide effectivement à résoudre les enquêtes, la série donne raison à Lucifer et invalide totalement Chloé qui a pourtant raison sur toute la ligne. Ça donne la désagréable impression qu’être drôle, riche, cool et beau justifie tout et que suivre les procédures et les lois, c’est pour les gens ennuyeux et inintéressants… (Lucifer brutalise certains suspects, y compris en public, touche les indices sans gants, etc, etc). Sans parler des implications morales douteuses, leur relation est simplement désagréable et monotone au départ : Lucifer passe son temps à faire n’importe quoi et Chloé passe son temps à l’engueuler. C’est vite ennuyeux.

  • Les personnages secondaires sont plats

En dehors de Chloé et Lucifer, dont les discussions prennent toujours exactement la même direction, on rencontre quelques autres personnages. Amenadiel, qui est à la fois un ange et le frère de Lucifer, a été envoyé sur Terre pour convaincre « Luci » de retourner à sa place aux enfers. Mazikeen, une démone, a accompagné Lucifer dans sa fuite (et lui sert de barmaid), mais ne se sent pas à sa place sur Terre. Dan, l’ex-mari de Chloé, est aussi policier et aimerait la reconquérir. Linda devient la psychothérapeute de Lucifer (en échanger de faveurs sexuelles).

Le problème, c’est qu’aucun de ses personnages ne dépasse la description que je viens de donner, et que leurs interactions sont limitées à Lucifer (à part Dan, qui est construit autour du personnage de Chloé), ou à leur but en relation avec Lucifer. Amenadiel enchaine les discours pompeux pour convaincre Lucifer. Mazikeen aime le sexe et la violence, et c’est tout. Linda est simplement là pour permettre à Lucifer de parler.

Du coup, toutes les interactions avec ces personnages sont répétitives et prévisibles, pour ne pas dire franchement clichées. En plus, la première saison se prend pas ma au sérieux, et Amenadiel est vraiment insupportable avec ses discours bibliques dramatiques^^.

Le seul personnage que je trouvais intéressant au départ, c’était Trixie, la fille de Chloé et Dan. Comme elle n’a pas de lien scénaristique avec Lucifer, elle peut de permettre d’avoir une vraie personnalité de petite fille rigolote et ambitieuse (elle veut devenir présidente de Mars !).

  • Le rapport à la sexualité

Plusieurs aspects de la série m’ont dérangée et mis plutôt mal à l’aise par moment. D’abord, Lucifer a deux pouvoirs : connaitre les désirs profonds des gens, et être sexuellement irrésistible. Au début de la série, il est irrésistible pour toute femme qui le regarde dans les yeux (à part Chloé). Au bout de quelques épisodes, cela fonctionne aussi sur un homme mais globalement la notion d’orientation sexuelle est plutôt laissée de côté au départ. Ce qui m’a beaucoup plus dérangée, c’est que Lucifer est littéralement irrésistible, ce qui sort par la fenêtre toute notion de consentement (et Lucifer couche réellement avec toutes ces femmes, il ne se contente pas de les faire fondre). A un moment, Lucifer utilise son charme sur une gardienne au commissariat pour faire échapper un homme en garde à vue. Ce qui signifie que non seulement il a abusé d’elle (si on rend son pouvoir équivalent à l’usage d’une drogue), mais qu’il lui a certainement fait perdre son boulot au passage… Pas très sympa vu comme ça…

Un autre détail concerne la backstory de Chloé. Avant de s’engager dans la police, elle a joué dans un film « Hot Tub High School » (littéralement « le Lycée Jacuzzi ») dans lequel elle apparaissait seins nus. En soi, c’est une histoire intéressante, une jeune femme dans un métier masculin qui doit faire sa place malgré ce passé qui la décrédibilise et la rend vulnérable aux yeux de ses collègues. Le problème, c’est que ce n’est pas Chloé l’héroïne, c’est Lucifer. Et donc au lieu de montrer la façon dont elle gère la situation (en revendiquant son passé, en l’oubliant, en faisant ses preuves, etc), c’est surtout la base de blagues de la part des autres personnages, ce qui donne l’impression que la série se moque d’elle de la même manière que ses collègues pas très fins, tous fiers d’avoir pu mater ses seins en cassette…

La rédemption

Entre les passages qui mettaient limite mal à l’aise, et le fait que les personnages étaient plats et leurs interactions répétitives, j’avais laissé tomber la 1ére fois, et je ne suis pas passée loin de le faire la 2éme.

Heureusement, j’avais besoin d’une série pas trop prise de tête, et donc j’ai continué un peu plus (et j’avais aussi entendu dire que les saisons suivantes étaient meilleures). Et là, le miracle s’est produit…

Tous les problèmes se sont évaporés !

Des remarques prises en compte

La première chose que je me suis dit en attaquant la deuxième saison, c’est que les créateurs de la série avaient dû recevoir le même genre de critiques, notamment sur le traitement des femmes et de la sexualité, et qu’ils les avaient prises en compte. A partir de la saison 2, Lucifer n’a plus le pouvoir d’être irrésistible. Il est bien sûr toujours très séduisant, mais ce n’est plus un super pouvoir qu’il utilise pour manipuler les femmes. La suite précise aussi que ses amants sont aussi bien femmes qu’hommes. La carrière d’actrice de Chloé n’est presque plus jamais référencée, à part à un ou deux moments où cela un sens dans le scénario, et plus jamais en tant que plaisanterie. Un nouveau personnage féminin apparait, Ella, de la police scientifique, ce qui permet à la série de passer enfin le test de Bechdel (pour cela, il faut avoir une scène où deux femmes nommées dans le film/série parlent ensemble d’autre chose que d’un homme). Et ce n’est pas un épisode isolé, pour des raisons dont je vais parler ensuite…

Des personnages multi-dimensionnels

Dans la 1ére saison, chaque personnage était limité à un unique rôle dans le scénario, et à une poignée de caractéristiques. A partir de la saison 2, ces figures en carton se transforment enfin en véritables personnages !

Pour moi, les scénaristes ont utiliser deux techniques pour arriver à ce résultat :

  • Multiplier les relations entre les personnages

Au départ, chaque personnage est défini uniquement par sa relation à Lucifer et n’a pratiquement aucune interaction avec le reste des personnages, ou alors uniquement en rapport avec Lucifer. En gros, ils n’étaient qu’un rôle et n’avaient pas de vie propre en dehors de celle qui concernait le héros. A partir de la deuxième saison, les scénaristes ont permis à ses personnages d’avoir leur propre vie et de nouer des relations entre eux. Je ne voudrais pas vous spoiler l’histoire, mais deux personnages deviennent colocataires, et la plupart lient des liens d’amitié les uns avec les autres. Mon épisode préféré de la saison contient une soirée entre filles (plutôt mouvementée…) avec Chloé, Linda, Maze et Ella…

Et toutes ces nouvelles interactions ouvrent une foule de développements, de possibilités, de variété… D’autant plus que certaines des amitiés qui se créent sont justement inattendues, entre anges, humains et démons, ce qui les rend immédiatement intéressantes. (Personnellement, j’adore le lien qui se crée entre Maze et Trixie, justement parce qu’il est improbable).

Aparté : passer le test de Bechdel (dont je parlais plus haut) n’est pas du tout indicatif de la qualité d’un film. Il s’agit plutôt une façon de souligner une situation assez ridicule dans le cinéma actuel : la proportion de films qui ne passent pas ce test est énorme (la moitié des blockbusters de 2013…) Par contre, je soupçonne que dans le cas de Lucifer, les scénaristes ont fait un effort volontaire pour le passer. Et pour moi, cela a contribué à l’amélioration de la série : pour le passer, les personnages secondaires féminins sont obligés de parler d’autre chose que de Lucifer, et donc d’avoir une vie en dehors de l’intrigue principale…

  • Introduire des arcs narratifs pour les personnages

Dans la première saison, les personnages étaient fixes et monolithiques. Et donc ennuyeux^^.

A partir de la deuxième, certains personnages ont droit à un arc narratif.

Maze par exemple avait pour seul but de donner la réplique à Lucifer dans sa boîte de nuit (et d’être décorative). Ce dont les scénaristes devaient être conscient puisque par la suite, elle se rebelle parce qu’elle en a marre de n’être « qu’uniquement la barmaid de Lucifer », et elle commence littéralement à chercher un sens à sa vie en dehors de Lucifer…

Amenadiel a aussi droit (heureusement !) a pas mal de doute et d’évolutions qui le rendent un peu plus intéressant et sympathique.

  • En résumé :

Dans les deux cas, la différence entre la saison 1 et la suite, c’est qu’au départ les personnages étaient statiques, et définis seulement via leurs relation au héros et à l’intrigue. Ils n’étaient que des fonctions dans le scénario. Ensuite, chaque personnage a pris plusieurs dimensions supplémentaires, par plusieurs moyens : en étant autorisé à interagir avec d’autres personnages, en ayant des buts personnels, et en évoluant.

Une bonne partie du plaisir de la série provient des interactions inattendues entre des personnages très différents (la petite fille et la démone, etc)

Une modification de la dynamique entre les personnages principaux

Pour moi, c’est peut-être la modification la moins réussie du lot, mais malgré tout la relation entre Chloé et Lucifer s’améliore.

Chloé finit par admettre que Lucifer lui est réellement indispensable et donc cesse de le houspiller en permanence. Elle s’amuse même de ses facéties et sort donc un peu de son rôle continuel de rabat-joie et donneuse de leçon. Le problème, c’est que ce changement n’est pas totalement crédible. Lucifer continue tout au long de la série de se conduire si mal que c’est juste incroyable qu’ils ne le foutent pas directement en prison (il fait évader des suspects, en tabasse d’autres, met en danger la vie de plusieurs, etc).

L’autre axe, c’est qu’on découvre une face beaucoup plus vulnérable et complexe de Lucifer, qui le rend plus sympathique pour Chloé et pour les spectateurices.

Et évidemment, comme très souvent dans ce genre de série, des sentiments plus forts se développent entre Chloé et Lucifer. Ce n’est possible que parce que la série pousse les deux personnages hors de leurs retranchements respectifs. En leur ajoutant tous les deux des vulnérabilités, et en faisant en sorte que l’autre puisse l’aider à les surmonter, les scénariste construisent une relation plus crédible (et aussi plus positive).

Conclusion

Je n’irai pas jusqu’à dire que Lucifer est devenu un chef d’œuvre. C’est une petite série policière sympathique pour les amateurices du genre.

Ce que j’ai trouvé très intéressant, c’est qu’elle est passé de série que j’ai dû presque me forcer à regarder au départ (et que j’ai regardé surtout parce que je suis accro aux énigmes), à une série que j’ai vraiment du plaisir à visionner, avec des personnages attachants, et des moments vraiment agréables même en dehors de la résolution du mystère en lui-même.

Pourtant, le concept est le même, ce sont les mêmes personnages, les mêmes enquêtes, le même décor. Simplement l’exécution est meilleure, et j’ai eu envie d’essayer de comprendre pourquoi exactement…

Les personnages ont une existence en dehors de l’intrigue.

C’est ça le secret^^. Des objectifs personnels, des relations avec les gens autour d’eux, des défauts et faiblesses aussi.

Voilà, j’espère que cette étude de cas vous a plu ! Est-ce que vous avez regardé la série ? Est-ce que vous avez aimé ? Dites-moi tout !

 

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