Utile ou pas ?

Faut-il lire L’anatomie du scénario de John Truby ?

Voici un nouvel épisode de ma série Utile ou pas ? où je commente et critique des livres sur l’écriture…

Vous pouvez retrouver les critiques précédentes ici :

Cette semaine, on s’intéresse à l’incontournable Anatomie du scénario de John Truby !

Titre français : L’anatomie du scénario

Titre original : The Anatomy of Story: 22 Steps to Becoming a Master Storyteller

Auteur : John Truby

Parution : 2007

Sujet/objectifs : storytelling, planifier son roman

L'anatomie du scénario, de John Truby

Résumé et concept

Le titre, L’anatomie du scénario, est un peu trompeur puisque ce livre traite surtout de storytelling au sens large, c’est à dire l’art de raconter une histoire, quel que soit le medium, et pas seulement de cinéma (on remarquera que ce sont les scénaristes qui sont les plus intéressés par la théorie de ce qu’est une histoire, peut-être parce qu’elle est plus concentrée au cinéma).

Au cours de son ouvrage, Truby décrit les différents composants principaux d’une histoire : le concept, les personnages, le thème, l’univers, etc.

Truby suit l’ordre dans lequel il considère qu’une idée doit être développée pour se transformer en roman ou scénario. Théoriquement, en suivant les exercices qu’il propose au fur et à mesure de l’ouvrage, l’auteurice pourrait développer sa propre histoire, et avoir à la fin de la lecture un plan complet et détaillé pour sa future œuvre (jusqu’au découpage des scènes et même la structure des dialogues principaux).

Truby propose d’abord de travailler son concept, d’en juger les risques et les points forts. Puis il détaille ses sept « étapes clés » dont je parlerai en profondeur un peu plus loin. Ensuite il explique comment développer les différents éléments qui constituent l’histoire : d’abord le faisceau de personnages, puis le thème, l’univers, les symboles et l’intrigue.

Pour finir, Truby s’aventure un peu plus dans le détail en évoquant le découpage et l’arrangement des différentes scènes et pour finir l’utilisation des dialogues à la fois pour soutenir l’histoire mais aussi pour évoquer le thème.

L’anatomie du scénario en 3 idées

Les sept étapes clés

Truby évoque bien sûr la structure de l’intrigue dans son ouvrage (presque chaque auteurice de conseil d’écriture développe sa propre « formule » d’intrigue, comme Vogler ou Snyder). Truby, lui, propose 22 étapes, que je ne vais pas vous détailler ici parce que je ne les trouve pas vraiment révolutionnaires. Par contre, sa version raccourcie en 7 étapes de l’arc narratif du héros est plus intéressante et contient les éléments principaux sur lesquels se basent sa vision de l’histoire.

Les voici :

  • 1 – Faiblesse et besoin du héros

C’est le point principal sur lequel repose toute la vision de Truby (et ce sont des notions que j’avais évoqué dans mon article sur les éléments de base de l’intrigue). Selon Truby, le personnage doit avoir un besoin psychologique et un besoin moral. Le besoin psychologique est un défaut ou une fausse croyance qui empêche le héros d’obtenir ce qu’il souhaite. Le besoin moral est un défaut qui pousse le personnage à faire souffrir son entourage. Ces deux besoins sont à la base de l’histoire, puisqu’ils vont définir l’arc narratif du personnage : le héros devra soit surmonter ces défauts pour triompher à la fin de l’histoire, soit au contraire échouer ou s’y enfoncer (auquel cas on sera dans un autre type d’intrigue : une tragédie ou une histoire de déchéance). Dans tous les cas, le combat du personnage contre ces défauts sera l’axe directeur de l’histoire. Ils doivent donc être établis le plus tôt possible  au début de l’histoire.

  • 2 – Désir du héros

Au début de l’histoire, le personnage principal n’a pas conscience de ses faiblesses, tout le cheminement aura pour but de lui en faire prendre conscience que c’est ce qui le bloque. Par contre, le héros aura un désir bien conscient (par exemple, trouver un meurtrier ou devenir le champion olympique de patinage artistique). C’est ce désir qui va lancer l’intrigue et qui mettra le personnage principal en mouvement.

  • 3 – Opposant

Évidemment, des obstacles se dressent entre le personnage principal et son but. L’antagoniste ne sera pas forcément un super méchant qui roule sa moustache en prévoyant la fin du monde : cela peut très bien être un proche aimant, persuadé que le patinage artistique n’est pas une carrière assez sûre. Idéalement, l’opposant aura une vision du monde opposée à celle de l’héroïne, et servira à moduler l’approche du thème. En tout cas, l’opposant devra empêcher le personnage principal d’arriver trop facilement à son but, et surtout devra mettre en exergue ses faiblesses.

  • 4 – Plan

Une fois que le personnage s’est retrouvé confronté au premiers obstacles, il devra concevoir un plan. Évidemment, le plan ne fonctionnera jamais du premier coup…

  • 5 – Affrontement

L’affrontement n’est pas forcément physique (même s’il le sera dans la plupart des films d’action). En général, ce sera le moment où les points de vue (et donc les visions opposées du thème de l’histoire) se rencontreront.

  • 6 – Révélation

C’est le moment pivot où le personnage principal prend enfin conscience des faiblesses qui l’empêchent d’avancer depuis le début de l’histoire. C’est aussi le moment où il.elle agira pour la première fois pour surpasser ses défauts. Dans certains types d’histoire cependant, la révélation ne survient jamais ou elle survient trop tard (par exemple dans le cas des tragédies).

  • 7 – Nouvel équilibre

Une fois que le personnage principal a réussi à surpasser (ou non ses faiblesses), l’histoire parvient à un nouvel équilibre.

Une vision holistique

Oui, je suis amoureuse de ce mot depuis que j’ai vu la série Dirk Gently, Détective Holistique sur Netflix (je vous la recommande chaudement si vous appréciez le fantastique, l’absurde et l’humour anglais).

Extase lexicale à part, je pense que c’est LE point à retenir dans le livre de Truby :

Les éléments de l’histoire, personnages, thème, symbole, univers, etc, ne doivent pas être considérés séparément mais comme un tout qui doit être cohérent et œuvrer dans la même direction.

Le personnage principal doit avoir un arc narratif basé sur le besoin moral et sa capacité ou non à le résoudre. Les autres personnages seront créés pour illustrer différentes approches du thème. L’antagoniste en particulier, autant que l’univers, devront être développés pour « attaquer » les faiblesses du personnage principal.

Dans la vision de Truby, rien n’est créé au hasard, tout doit contribuer à renforcer le thème et l’arc narratif du personnage principal.

C’est une idée intéressante, puisqu’elle pousse à s’interroger sur le rôle de chaque élément d’un roman au sein de l’histoire.

Développer son thème sans être moralisateur

C’est à mes yeux un des points les plus intéressants de L’anatomie du scénario : Truby passe beaucoup de temps à expliquer comment construire son thème et son argument moral à partir de ses personnages, son univers, et l’intrigue. Plus intéressant, il explique comment présenter une vision nuancée aux lecteurices, sans les matraquer impitoyablement avec une idéologie formatée, qui au mieux les agacera.

Pour Truby, ça passe par plusieurs techniques :

  • Donner à différents personnages des points de vue différents sur un même thème
  • Si possible appliquer la technique précédente à plus de deux personnages pour ne pas seulement avoir un « affrontement » entre deux idéologies, mais un plus grand nombre de nuances.
  • Faire de l’opposant un être humain avec de véritables arguments et une vraie motivation et non pas un Vilain avec un grand V dont les idées seraient immédiatement discréditées.
  • Permettre à la fois au héros et à l’opposant d’avoir une « révélation » à la fin de l’histoire, et donc de modifier légèrement chacun leur point de vue, pour encore une fois nuancer la « morale » de l’histoire en forçant chaque personnage à mettre de l’eau dans son vin.

Il est très facile de diaboliser une idée quand on produit une œuvre : comme l’auteurice maitrise tout, il ou elle peut facilement discréditer un opposant en lui donnant tous les défauts de la terre, ne lui faire dire que les arguments les plus faibles, ou simplement utiliser l’intrigue pour montrer que ses idées ne fonctionnent pas (ce qui est très facile puisque c’est l’auteurice qui décide de ce qui va se passer !).

Le problème, c’est que ça ne marche pas, en tout cas, ça ne fait plaisir qu’aux personnes qui sont déjà convaincues de ce que vous prêchez. Ça vaut donc vraiment le coup de chercher à faire réfléchir ses lecteurices, à les pousser à se forger leurs propres idées plutôt que d’essayer de leur imposer de force

Les Moins

Parlons maintenant des défauts de L’anatomie du scénario. Pour être franche, je n’en ai pas trouvé tant que ça, il est donc possible que je râle sur des broutilles^^.

  • L’ordre

Autant dans ces exercices que dans la structure même du livre, Truby a l’air de déterminer un ordre précis dans lequel l’auteurice doit travailler sur les différentes parties de son histoire : d’abord le concept, ensuite le personnage principal, en commençant par le besoin et le désir, etc.

Sauf que selon les gens et les projets, on peut partir d’un personnage, ou d’un thème, ou d’un monde fantastique super cool. Mais en soi, rien n’empêche de ne pas tenir compte de l’ordre que Truby impose, et de simplement garder les concepts.

  • Le worldbuilding

Si vous êtes un.e spécialiste de la fantasy ou de la SF, vous allez clairement trouver que le chapitre qui aborde le worldbuilding (la création de l’univers de l’œuvre) est beaucoup trop léger. Truby n’exclue pas la SFF de son ouvrage (il réfère régulièrement Harry Potter et Star Wars), mais ce n’est pas son point focal. Par contre, il insiste sur le fait que l’univers est important quelque que soit le genre de l’œuvre, un sujet qui est souvent laissé de côté dans les conseils d’écriture. Bon point pour lui ^^.

  • Les longueurs

C’est ma principal critique envers L’anatomie du scénario : c’est un peu long… Il y a beaucoup d’exemples, ce qui est une bonne chose, mais aussi beaucoup de répétitions sur ces exemples. Même quand Truby explore différents aspects de l’histoire, il a tendance à lister toujours les mêmes points : le concept, désir et besoin du héros, etc.

Et si vous me lisez depuis un moment, vous savez déjà que je DÉTESTE qu’on me répète 40 fois la même chose^^.

  • Limité au storytelling

Je fais cette remarque presque à chaque fois que je critique un bouquin sur l’écriture : son périmètre est limité. En particulier, celui-ci aborde le storytelling, l’art de raconter une histoire, sous tous ses angles, mais laisse de côté de nombreux sujets indispensables à l’auteurice en herbe : le style, la discipline, les techniques de description, d’exposition, comment corriger un manuscrit, etc… Disons qu’il s’agit plus d’un avertissement que d’une critique.

Les Plus

  • Clarté

Là où les Mémoires de Stephen King étaient intéressants, mais avec une certaine tendance à la divagation, L’anatomie du scénario est très didactique. L’ouvrage est clairement structuré et organisé, toutes les notions sont illustrées par des très (trop) nombreux exemples, Truby propose des encarts avec des notions clés et même des exercices.

C’est un véritable « manuel » de storytelling.

  • Vision complète

Même si comme je l’ai dit plus haut, son périmètre est limité, L’anatomie du scénario voit pourtant plus large que beaucoup de livres sur l’écriture. La majorité des livres que j’ai lus sont obnubilés par la structure de l’intrigue, avec chacun sa propre variation sur le Voyage du Héros. Truby a une vision beaucoup plus globale, que je trouve vraiment intéressante pour les auteurices débutant.e.s qui chercheraient à planifier un roman (ou à analyser leur premier jet). Rien que le fait d’avoir une liste des différents composants de ce qu’est une « histoire » (par opposition à « intrigue » qui n’est que la liste des événements qui surviennent au cours du roman) est une ressource de valeur…

Ce que j’en retiens

Beaucoup de choses ! C’est un des livres dont j’ai le plus appris, même si j’ai eu un peu de mal avec ses longueurs. J’ai beaucoup apprécié sa façon de parler du thème et sa vision holistique m’a vraiment fait réfléchir.

En pratique, je n’ai pas suivi les exercices, même pour mon deuxième roman (même si je compte utiliser l’idée que trois de mes personnages ont une approche différente d’un même problème). Je ne suis pas une grande planificatrice, et j’ai du mal à m’imaginer prévoir chaque détail et chaque personnage à l’avance pour qu’ils collent tous à un grand schéma global… D’ailleurs cette vision où rien ne dépasse du thème est peut-être plus utile dans le cinéma que pour un roman, où on a un peu plus le temps de divaguer. Par contre, ce point de vue me parait intéressant pour renforcer une structure déjà existante et augmenter sa cohérence… Je ne tirerai pas toutes mes idées de sa méthode, par contre, je n’hésiterai pas à l’utiliser pour voir ce que je peux renforcer a posteriori.

Conclusion : faut-il lire L’anatomie du scénario ?

Une fois n’est pas coutume, j’ai envie de répondre oui à cette question. Le bouquin de John Truby est probablement celui qui m’a le plus appris en matière de « storytelling » au sens large, c’est à dire l’art de raconter une histoire. Le Writer’s Journey dont j’ai parlé la dernière fois était intéressant, mais principalement concentré sur le fameux voyage du Héros, qui est seulement une structure possible d’intrigue parmi d’autres. L’anatomie a l’avantage de parler à la fois d’autres types d’intrigues, mais aussi d’aborder d’autres éléments de l’histoire qui sont souvent laissé de côté : le thème, les symboles, l’univers, etc… Le livre incite aussi à travailler sur la cohérence globale des éléments, ce que je trouve très intéressant.

Par contre, encore une fois il s’agit d’un ouvrage consacré uniquement au storytelling (je vais travailler à trouver des livres moins théoriques et abstraits), applicable autant à la littérature qu’au ciné ou à la BD. Même si Truby explore tout de même la construction des scènes et les dialogues, vous ne trouverez pas d’explications concrètes sur comment améliorer votre style, ou encore comment corriger votre manuscrit…. Mais si vous cherchez à mieux planifier votre roman (ou à renforcer son « histoire » au sens large après coup), ce livre pourra certainement vous être utile.

Et vous, avez-vous lu L’anatomie du scénario ? Est-ce votre bible d’auteurice ou l’avez-vous trouvé décevant ? Dites-nous tous !

10 réflexions au sujet de “Faut-il lire L’anatomie du scénario de John Truby ?”

  1. Bonsoir,
    Je trouvais votre blog intéressant jusqu’à ce que je lise vos articles. Certes ils sont bien documentés mais l’utilisation de l’écriture sexiste imposée par les féministes me pose vraiment des problèmes.
    Cette écriture perturbe la compréhension du texte en créant des obstacles. Du coup, les textes deviennent difficiles à lire. Le chant des mots, des phrases, n’est que saccade et nous empêche d’avancer, gâche le plaisir de lire et participe à un entre soi féministe vecteur de clivages.
    C’est dommage, tant pis, je vous laisse entre femmes et vogue de ce pas vers d’autres blogs…

    1. Bonjour,
      Je suis désolée que l’usage de l’écriture inclusive gêne votre lecture. Je suis consciente qu’elle peut être déroutante au premier abord, j’ai d’ailleurs écrit un article pour expliquer pourquoi j’avais fait ce choix : http://hieroglyphesetpattesdemouche.com/ecriture-inclusive-peril-mortel/
      Mon but n’est bien sûr pas d’exclure les lecteurs masculins, au contraire ! Sinon je me contenterai d’écrire simplement au féminin, et c’est d’ailleurs pour ça que je préfère utiliser ce qu’on appelle l’écriture « inclusive ».

      1. Bien moi ça ne m’a pas dérangé du tout.Je dirais même que je n’avais pas remarqué! …trop concentrée sur le contenu…
        Merci pour cet article intéressant.

        1. C’est clairement un livre TRÈS riche au niveau du contenu… Il y a de quoi faire ! (et c’est surement celui qui m’a le plus appris de tous ceux que j’ai lus pour l’instant). Merci pour ton commentaire !

    2. Bonjour, en ce qui me concerne, je m’y fais de plus en plus à ce style « inclusif », malgré de grandes réticences. J’ai l’impression de progressivement découvrir de nouvelles façons de voir les choses, plus riches et plus justes.

      Concernant cet article, merci, merci et merci (je vous ai remercié?). Je vais lire ce livre, et piocher d’autres articles dans votre blog.

      1. Merci pour tous ces remerciements ^^! Et je suis contente de ce retour sur l’écriture inclusive. Je suis consciente que ça demande des efforts, autant à la personne qui lit qu’à celle qui écrit, mais je pense que ça vaut le coup. Et surtout, comme tout dans le langage, que c’est en grande partie une question d’habitude. Sur ce sujet le livre d’Antoine Albalat était très amusant parce qu’il s’offusquait d’un tas de néologisme qui sont entièrement passés dans le langage courant depuis…

  2. Merci pour cet article. J’ai le livre sur ma liseuse, mais je n’ai pas encore pris le temps de m’y plonger, malgré toutes ses qualités.
    (J’aime beaucoup votre blog, et pas que pour le Waterman Audace de la tête de page ^^)

    1. Il faut dire que c’est un beau pavé… Mais il vaut vraiment le coup. Merci beaucoup pour ce commentaire !

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