Utile ou pas ?

Comment il ne faut pas écrire & l’art d’écrire enseigné en vingt leçons & les Tendons du style

C’est l’heure pour une nouvelle critique !

Si vous aimez les livres sur l’écriture, vous pouvez retrouver mes autres articles dans la catégorie Utile ou pas ? ou juste en dessous :

L’article de cette semaine est un peu particulier : il y a quelques temps j’ai demandé sur Twitter quel/les auteurices francophones on pouvait me conseiller. Vous pouvez voir dans la liste de mes précédents articles que j’ai traité exclusivement d’auteurices américain/es, pas par choix, mais parce qu’il s’agissait de « classiques ». La plupart parlaient d’ailleurs plus de narration que d’écriture (il y a plusieurs scénaristes dans cette listes). Bref, j’avais envie de changement.

Donc j’ai pris le premier bouquin d’auteurice francophone parlant de style que j’ai pu trouver sur la boutique Kobo, avec les noms qu’on m’avait donnés. Et il s’agissait en fait de trois livres en un… (et de deux auteurs qui n’ont même pas vécu à la même époque). Oui, j’aurais peut-être dû mieux lire la description^^. Donc aujourd’hui, c’est promotion, vous aurez trois critiques pour le prix d’une !

Titre français : Comment il ne faut pas écrire & l’art d’écrire enseigné en vingt leçons & les Tendons du style

Auteurs : Antoine Albalat (pour les deux premiers titres), Olivier Lusetti (pour le dernier)

Parution : 1921,1899, 2015

Sujet/objectifs : style, révisions stylistique

Résumé et concept

Cet ouvrage est en fait composé de trois livres différents (tu m’étonnes que je mettais du temps à le finir…)

  • Comment il ne faut pas écrire

Comment il ne faut pas écrire est un catalogue d’erreurs à ne pas faire, classées par thèmes : les verbes, les adjectifs, les « images » (métaphores), etc

L’auteur évoque aussi différents styles qu’il déconseille : le style archaïque qui imite trop les Anciens, le style « fabriqué » qui a l’air trop travaillé, le style psychologique qui narre au lieu de mettre en scène, le style philosophique volontairement abscons…

Ces remarques se basent principalement sur la critique d’extraits d’auteurs reconnus et se concentrent surtout sur des tournures ou expressions particulières.

  • L’Art d’écrire enseigné en 20 leçons

L’art d’écrire est beaucoup plus général. Albalat commence par expliquer que tout le monde peut écrire (avec comme argument en gros que même les femmes et les paysans peuvent avoir de « beaux mots » quand ils parlent de ce qui les touche…). Il insiste sur l’idée de travail (même si le travail ne doit pas forcément se voir, et de lecture, indispensable pour « assimiler le talent ».

Ensuite, il définit les qualités principales du style : originalité, concision et harmonie des mots et des phrases.

Puis il s’écarte du sujet du style pour aborder l’écriture de manière plus générale : en parlant d’abord « d’invention » (choisir son sujet et être capable de le ressentir suffisamment pour l’exprimer correctement), de disposition (Albalat conseille de recourir à un plan pour organiser ses idées), d’élocution (l’écriture en elle-même) et de refonte (la phase de révision).

Il rajoute également quelques chapitres sur les dialogues, les descriptions et la narration.

  • Les Tendons du style

Cette partie est beaucoup plus courte que les deux ouvrages précédents (et infiniment plus moderne, forcément, avec un bon siècle d’écart^^). Lusetti se base sur l’analyse du texte de grands classiques, et a priori sur les préceptes d’Albalat, pour identifier 14 « tendons du style », c’est à dire 14 tournures qui peuvent alourdir votre style si elles sont utilisées abusivement. Il conseille l’usage de logiciels comme Antidote pour détecter ces différentes tournures ou types de mots (par exemple voix passive, tournure impersonnelle, abus de participes présent, de pronoms relatifs, de conjonctions, etc).

Le livre en trois idées

  • Apprentissage de l’écriture

Albalat maintient qu’écrire peut s’apprendre (à noter qu’il parle de style en général, et pas d’écriture romanesque). C’est assez logique en soi, quand on veut donner des conseils d’écriture, il faut croire en leur efficacité

Albalat insiste beaucoup sur le fait qu’on peut améliorer son style (même si on ne peut pas forcément viser le génie). Selon lui, cela passe par deux points.

Il conseille d’abord de beaucoup lire, des auteurices divers, et en prenant des notes (quitte à même recopier des passages pour s’en imprégner). Pour lui le talent « s’assimile » par la lecture. Il considère aussi que certains styles sont plus assimilables que d’autres.

Son second conseil consiste à simplement beaucoup travailler et retravailler ses écrits. Il insiste sur le fait que la plupart des grand.e.s auteurices écrivent de nombreuses versions de leurs textes, jusqu’à trouver les mots justes, le bon rythme et la formulation parfaite.

Selon lui, une bonne écriture passe surtout par beaucoup de réécriture.

  • Concision

C’est une idée simple, mais peut-être la plus utile quand on essaie de corriger son style. Le but de la concision n’est pas forcément de faire des phrases courtes, mais d’exprimer chaque idée avec le moins de mots possibles. Cela implique à la fois de choisir les tournures les moins lourdes (qui sont aussi plus compréhensibles) mais aussi d’éviter de répéter plusieurs fois une idée similaire qu’on a simplement reformulée.

Ce qui est assez amusant c’est qu’Albalat utilise beaucoup trop de pages pour expliquer cette idée assez simple, brisant son propre précepte…

En tout cas, si vous pouvez couper des mots sans nuire au sens, faites-le, vous gagnerez en clarté et lisibilité. Et ce conseil rejoint l’idée suivante… (supprimer certaines tournures revient également à élaguer ses phrases).

  • Les quatorze tendons du style
Lusetti a noté 14 éléments de base du style. Ce ne sont pas des tournures à supprimer de ses textes (ce serait tout simplement impossible !) mais des mots ou constructions dont il faut surveiller la fréquence. Si elle est trop élevée, ça peut indiquer un problème de style :
 
– Verbes ternes : être, avoir et faire (non utilisés comme auxiliaires)
– Répétitions
– Participe présent
– Conjonctions  : en effet, certes, car, etc
– Conjonctions de subordination : quand, si, comme, etc
– Prépositions : de, à, au, etc
– Pronoms démonstratifs : ce, cette, celui-ci, celui-là, etc
– Pronoms relatifs : qui/que
– Phrases longues : plus de 45 mots (la longueur conseillée est de 15 à 20)
– Verbes absents
– Voix passive : « la souris est mangée par le chat » (au lieu de « le chat mange la souris »)
– Voix impersonnelle : il faut que, il existe, etc
– Participiales : proposition qui n’est pas introduite par un mot subordonnant : « la nuit étant tombée, ils fermèrent les rideaux ».

Sauf emploi volontaire et motivé, il faut éviter d’abuser de toutes ces tournures. Vous pouvez d’ailleurs retrouver ces différents points détaillés dans une série d’articles de Stéphane Arnier que je vous conseille chaudement^^.

Parlons maintenant des défauts et avantages de cette compilation…

Les Moins

  • Parfois obsolète

Ce problème se fait surtout sentir dans Comment il ne faut pas écrire (et pas du tout dans Les Tendons du style, qui est très récent). Dans ce livre-là, Albalat se base surtout sur des exemples et des tournures et formulations très précises. Et c’était assez drôle à lire en fait, puisque la moitié ne sont plus utilisées depuis au moins un demi siècle. C’était encore plus drôle quand il parlait de verbe « inventés » par des auteurices de son temps qui sont depuis passés complètement dans le vocabulaire courant et ne choquerait plus personne…

Le vocabulaire, les modes citées et les préoccupations de l’auteur sont souvent loin d’être encore d’actualité, et ne parlons pas des petites touches de sexisme^^

  • Noyé dans les exemples

Ce problème est présent dans les deux ouvrages d’Albalat. Bien sûr, des exemples sont indispensables pour illustrer clairement son propos et ne pas être purement théorique, mais Albalat en abuse complètement. Par exemple, il explique qu’il faut éviter les répétitions dans son texte, mais au lieu de donner une ou deux illustrations et de passer à la suite, il cite des pages et des pages d’exemples tirés auteurices célèbres. Tous ces exemples compliquent la lecture : ses arguments se perdent au milieu des citations. De mon point de vue, au-dessus de 3 exemples pour une même idée, c’est juste de la gourmandise (et il ose parler de concision dans ses conseils !)

  • Peu d’explications

Encore une fois, c’est un souci qui ne se retrouve que dans les livres d’Antoine Albalat, et qui sont peut-être plus un problème d’époque que de personne. La plupart des conseils d’Albalat sont construits sur des exemples, et il explique rarement pourquoi il faut éviter telle ou telle structure. Il ne définit même pas forcément de règles précises, parfois il faut se contenter de l’exemple et se forger une règle par soi-même.

Je pense que c’est aussi une question d’époque. De nos jours, nous sommes habitués à des préceptes clairs et précis sur l’écriture, mille fois répétés et justifiés. D’ailleurs, certains se retrouvent dans le texte d’Albalat et c’est assez amusant de les débusquer.

Par exemple, il y a un conseil très connu qui prêche qu’il ne faut garder que le nécessaire, et que vous vous devez de supprimer une scène, un personnage ou une tournure que vous adorez, si elle n’apporte rien à votre roman.

Au lieu de dire « kill your darlings », vous pouvez donc plutôt citer Albalat et dire : « Eussiez-vous semé des perles, ôtez ces perles superflues« … Classe, non ?

  • Beaucoup de jugements de valeur

Encore une fois c’est Albalat qui est coupable, dans Comment il ne faut pas écrire. En voyant le titre, je pensais que c’était peut-être un bouquin comique/ironique à la façon de Terrible Writing Advice. Eh bien non, pas du tout. Albalat démonte les œuvres de ses compatriotes auteurices et on sent bien qu’il a ses chouchous et ses mauvaises têtes… C’est amusant d’ailleurs, parce qu’il critique des auteurices qu’on aurait tendance à considérer comme « intouchables » de nos jours. Par exemple, il explique la « mauvaise qualité » du style de Stendhal par le fait que celui-ci a dicté une partie de ses romans… Il a une dent contre les Goncourt, et adore Bossuet. Ses critiques sont peut-être justifiées, mais j’aurais du mal à juger le style de Zola mauvais quand c’est en le lisant que j’ai construit le mien…

En tout cas, même si j’ai du mal à évaluer si toutes ses critiques sont méritées ou non, certaines laissent un petit goût de partialité…

Les plus

  • Complet

Cette compilation a déjà l’avantage de parler du style, un sujet qu’on voit rarement aborder autant en profondeur. Le seul autre exemple que je connais, c’est Elements of style de William Strunk et E. B. White, dont je n’ai volontairement pas parlé : autant les questions de narration peuvent être adressées quelque soit le langage, autant le style me parait quand même plutôtlié à la langue dans laquelle on écrit…

En plus de style pur, Albalat aborde aussi des sujets comme la description ou le dialogue qui sont importants mais parfois laissés de côté par les auteurices concentré.e.s sur le « storytelling », indépendamment du medium.

Il ne se limite d’ailleurs pas du tout à la fiction : Albalat enseigne l’écriture de manière générale, que ce soit pour une correspondance épistolaire ou pour un essai de philosophie.

  • Des conseils précieux

Les livres sur le style étant plutôt rares, ces conseils n’en sont que d’autant plus importants… Les Tendons du style, en particulier, est vraiment intéressant à lire puisqu’il regroupe et condense les points principaux d’attention soulevés par Albalat dans les deux ouvrages précédents.

Ce que j’en retiens

  • Une perspective historique

J’ai apprécié Comment il ne faut pas écrire, mais pas du tout pour les raisons prévues par son auteur. En fait, cette partie m’a fait souvent rire, à cause du décalage culturel. Mais c’était aussi très instructif d’un point de vue historique. La première chose que j’ai constaté, c’est à quel point la langue peut évoluer, à simplement 100 ans d’écart. Il s’énerve pendant tout un passage sur les auteurs qui inventent des nouveaux verbes et la plupart sont courant aujourd’hui. Certaines images qu’il considère « neuves » sont devenues d’horribles clichés entre temps. Il se pose aussi des questions totalement obsolètes : faut-il employer l’imparfait du subjonctif ? De nos jours on ne l’emploie plus que pour des raisons comiques, personne n’oserait écrire sérieusement « Ah, plut à Dieu que tu susses ! », un des exemples qu’il cite…

Même si beaucoup de ses réflexions sont sévèrement périmées, je trouve intéressant de savoir qu’on s’est posés ces questions il n’y a pas si longtemps. C’est une question de culture (même si celles et ceux qui ont fait des études littéraires contrairement à moi ont sans doute une bien meilleure connaissance de ces querelles de courants littéraires), mais il y a un autre intérêt.

J’en ai parlé dans mon article sur l’écriture inclusive : notre langue est en constante évolution, même si on a tendance à l’oublier, et les auteurices sont souvent à la base de cette évolution. C’est une leçon qui mérite d’être retenue.

  • Le « style psychologique »

Dans Comment il ne faut pas écrire, Albalat a écrit tout un chapitre sur le « style psychologique » et je me suis un petit peu trop reconnue dans sa description…

C’est comme ça qu’il appelle le style où l’auteurice se concentre trop sur les pensées, les émotions et les conjectures de son personnages principal, qui finissent par remplacer l’action.

Il fait aussi remarquer à juste titre qu’à force de se concentrer sur les pensées du personnage, on finit par ne plus rien « montrer », à ne plus faire que de la narration au lieu de mettre en scène les choses (c’est une autre façon de formuler « show don’t tell »).

C’est un des points que je suis censée surveiller dans mes révisions en cours : mon héros pense beaucoup trop…

  • Antidote

Toujours en rapport avec mes révisions en cours, je me suis offert le logiciel Antidote pour Noël, qui permet entre autres de souligner les passages où les « tendons du style » posent problème.

J’avais déjà prévu de l’utiliser pour faire une passe de corrections sur l’orthographe, la ponctuation et autres joyeusetés, mais j’en profiterai surement pour vérifier les indicateurs listés par Olivier Lusetti au passage… Je sais déjà que j’ai tendance à faire des phrases trop longues d’après WordPress^^. Et, n’en déplaise à Stephen King, j’ai un faible pour les adverbes.

Conclusion

En pratique, si vous n’avez pas beaucoup de temps et que vous préférez les conseils qui vont droit au but, vous pouvez vous contenter de lire Les Tendons du style de Lusetti. Il offre un condensé de conseils sur le style, facilement compréhensible et utilisable, et assez rapide à lire. L’Art d’écrire est intéressant, mais assez long, même en passant rapidement sur la myriade d’exemples. Il demande aussi de faire l’effort de creuser un peu pour en ressortir des conseils directement transposable à son propre texte. Pour ce qui est de Comment il ne faut pas écrire, je ne le recommanderai pas en tant que conseil d’écriture, mais je trouve qu’il a son intérêt en tant que témoin historique de l’évolution de la langue française, et des préoccupations et modes qui affectent la communauté des auteurices…

Je vais continuer à chercher des conseils sur le style, c’est un sujet qui est moins traité que le schéma narratif par exemple et c’est aussi un des sujets que j’ai le moins l’impression de maitriser. Je serai ravie de travailler un peu plus la question (et comme ça je pourrais aussi vous en parler plus^^).

Et vous, est-ce que vous avez lu Albalat et/ou Lusetti ? Qu’est-ce que vous en avez pensé ?

5 réflexions au sujet de “Comment il ne faut pas écrire & l’art d’écrire enseigné en vingt leçons & les Tendons du style”

  1. Super article , très utile, merci à toi ! Je n’ai pas lu ce livre, mais j’en ai un de la même collection sur  » le travail du style » , je ne l’ai pas encore lu, mais ça promet…
    J’aime beaucoup tes articles qui sont de véritables sources de connaissances. Je t’ai laissé un commentaire la dernière fois, je ne sais pas si tu l’as vu ? (sur les livres de Truby/ Campbell)
    à bientôt 🙂

    1. Merci ! Par contre, je n’ai pas retrouvé tes commentaires sur mes articles de Truby et Campbell 🙁
      Ça m’arrive aussi que mes commentaires sur d’autres blogs disparaissent, je ne sais pas trop ce qui se passe^^. La malédiction du commentaire peut-être… (c’est le prochain livre d’horreur à succès sûrement^^)

  2. Bonjour ! quel bel article !
    Je suis Olivier Lusetti, l’inventeur des Tendons du Style, et je serais heureux de vous envoyer mon livre sur l’écriture Comment mieux écrire, raconter une histoire et réussir…(secret du style et clefs du scenario) pour lire votre avis.

    https://www.amazon.fr/Comment-Raconter-Histoire-Réussir-Fantasy/dp/B07K138Y7Z/ref=la_B006C744LG_1_5_twi_pap_2?s=books&ie=UTF8&qid=1578057457&sr=1-5

    Bonne année 2020
    Dans votre attente.
    Bien cordialement

    1. Merci beaucoup ! J’ai été vraiment contente de lire Les Tendons du style, puisque j’ai trouvé très peu de livres en français sur le style, et je l’ai trouvé très utile. Je serais bien sûre ravie de lire Comment mieux écrire ! Et bonne année^^

  3. Ecrire auteurice (et le reste) et se faire bananer au premier participe passé, cela c’est de l’écriture!
    « Donc j’ai pris le premier bouquin d’auteurice francophone parlant de style que j’ai pu trouver sur la boutique Kobo, avec les noms qu’on m’avait donné. »
    L’on vous avait donné quoi?
    Dans votre malheur, il n’y avait pas d’infinitif tel que « à lire », à la suite du participe, dont le COD n’aurait pas été l’acteur…
    Mieux vaut bosser Bescherelle que de faire de l’idéologie orthographique, où le masculin l’emporte sur le féminin, non pour faire valser ses bijoux de familles qualifiés de forts, mais pour économiser l’encre, comme il en fut de supprimer les accents sur les majuscules débutant les phrases, pour les mêmes raisons. Suivre Bescherelle, c’est économique, c’est donc écologique et par voie de conséquence progressiste.

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