Ecrire un monde meilleur

Comment j’ai écrit accidentellement des clichés sexistes

Avertissement :

Dans cet article, je vais prononcer quelques gros mots comme « féminisme », « sexisme », « représentation », etc.

Mon but n’est pas d’attaquer ou de critiquer qui que ce soit, au contraire. Je veux montrer que :

  • n’importe qui peut écrire des textes problématiques, même avec les meilleures intentions du monde
  • s’efforcer de ne pas le faire, ce n’est pas juste faire plaisir à quelques harpies féministes, mais c’est un moyen d’améliorer à la fois son écriture et le monde dans lequel on vit…

Je vais donc vous raconter l’histoire de la fois où j’ai écrit un roman sexiste par accident…

Oups un cliché sexiste
Crédits : MeTV

Définitions

Je me considère comme féministe. Ne me jetez pas de pierres tout de suite, laissez-moi expliquer.

Je me considère féministe, parce que je ne pense pas être fondamentalement inférieure à un homme. Voilà…

Je demande simplement qu’on me traite comme un être humain, sans m’enfouir sous une tonne de préjugés sur ce que je suis censée pouvoir faire ou ne pas faire, les goûts que je suis censée avoir, les traits de caractère que je suis censée posséder.

J’aime les maths (et je suis probablement meilleure en maths que la majorité des hommes que j’ai croisé dans ma vie), je travaille dans l’informatique et ça me plait. Je ne suis absolument pas dépensière (et je déteste acheter des chaussures). Je ne suis ni trop bavarde ni emmerdeuse. Je suis plutôt geek. Je me maquille rarement, je ne porte du rose que sous la contrainte.

Ça ne veut pas dire que je suis un « garçon manqué » (quelle expression débile !). J’adore danser, je m’habille le plus souvent possible en robe, etc.

Je suis juste un être humain, et j’estime avoir le droit à mes propres goûts et mes propres choix, sans qu’on me dise « tu es une fille, tu aimes forcément X ou Y ». J’estime aussi avoir le droit qu’on me juge (et me paye !) selon mes compétences. Il n’y a rien qui m’énerve plus que l’argument sur la différence de paye hommes/femmes qui dit « nan mais c’est normal, les femmes ne peuvent pas faire les mêmes choses que les hommes : elles ne peuvent pas porter de charges lourdes ». Parce que tous les métiers du monde consistent à porter des sacs de ciment de 50kg, bien sûr. Et c’est à ça qu’on reconnait la valeur d’une personne. Par exemple, Stephen Hawking pouvait soulever un poids inférieur à celui que je suis capable de soulever, ce qui en fait clairement un être humain inférieur…

Donc voilà, je suis féministe, et je n’ai pas l’impression que ce que je recherche en tant que féministe soit trop demander… Qu’on me traite comme l’être humain que je suis (et qu’on me laisse acheter des chaussures de course qui ne soient pas rose fluo, bordel !).

Je tiens aussi à souligner que, même si les femmes sont les premières victimes du sexisme, les hommes en souffrent aussi. Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est un argument contre le féminisme ! Les causes sont les mêmes : le fait qu’on considère qu’élever les enfants est le travail de la femme a des impacts majeurs sur la vie des femmes (plus de travail à la maison quand elles ont un boulot, des salaires et des carrières moins avancées à cause des congés maternités et horaires adaptés, etc), mais cela pénalise aussi les pères qui veulent participer à l’éducation de leurs enfants, et les couples homosexuels. Tout comme on ridiculise les hommes qui présentent des caractéristiques ou des goûts féminins (puisqu’on les présentent comme inférieurs…). Donc, le féminisme, c’est une bonne chose pour les hommes également (et pas une secte qui veut castrer tous les mâles et les réduire en esclavage…)

D’ailleurs, je considère que tous les êtres humains devraient être traités… comme des êtres humains, et non en fonction de leur couleur de peau, leur religion, leur genre, leurs préférences sexuelles, etc… C’est très facile à généraliser !

 

Sexiste par accident

Maintenant que j’ai bien établi mon point de vue sur l’égalité Hommes/Femmes (faut-il que je répète une fois de plus ? Je suis féministe), je vais vous raconter comment j’ai écrit un roman basé sur un des plus gros clichés « sexistes »…

Le personnage principal de mon premier roman est un homme. Cela aurait très bien pu être une femme sans impact majeur sur l’histoire, mais j’avais choisi d’écrire un homme à la base parce que je voulais distancer mon héros de moi-même. L’idée de ce roman est né de la rencontre entre deux personnages pour lesquels j’avais écrit de courts textes : Étienne, un psychiatre un brin cynique et Roxanne, une jeune femme muette et en colère. J’ai fini par rajouter un tueur en série dans ce mélange, pour donner une direction à mon roman (et parce que j’adore les enquêtes !). Je ne suis pas une Architecte , j’ai donc construit mon intrigue comme j’ai pu, au fur et à mesure…

Et quand j’ai commencé les révisions de mon roman, j’ai constaté que celui-ci avait deux problèmes majeurs :

  • Roxanne était quasi absente de mon histoire, en plus d’être fade
  • Margaret, une collègue et amie du héros, était un personnage intéressant, mais avec un rôle anecdotique qui ne prenait de l’ampleur que très tardivement dans mon roman.

En creusant un peu plus, je me suis rendue compte que mon roman suivait le cliché classique du Héros qui sauve la Demoiselle en Détresse. Cela m’a d’autant plus frappée lorsque j’ai relu le texte que j’avais écrit au départ, avec la voix qui avait inspiré Roxanne, une voix pleine de colère et de rébellion, alors que la Roxanne de mon roman n’était qu’une petite chose fragile, qui n’apparaissait que pour avoir l’air vulnérable, faire des « crises » mystérieuses* et … c’est tout.

Je me suis empressée de remplumer un peu la pauvre Roxanne et de lui donner plus de profondeur. J’espère avoir réussi à renverser un peu le cliché de la demoiselle en détresse sur la dernière partie du roman (c’était difficile sans avoir à jeter toute ma prémisse à la poubelle).

Pour ce qui est de Margaret, c’est un personnage masculin qui lui piquait la vedette en tenant le rôle de mentor du héros. Je n’avais pas envisagé que le mentor, un psychiatre confirmé, puisse être Margaret. J’ai donc fusionné les deux personnages pour donner un rôle plus important à Margaret tout au long du roman, et lui apporter de la profondeur.

Quelles leçons en tirer ?

Qu’on soit bien clair, je ne dis pas que celui qui utilise le cliché de la Demoiselle en Détresse est un horrible machiste qu’il faut exécuter immédiatement (rappelez-vous, je l’ai utilisé…).

Mais ce cliché a deux énormes défauts :

  • Il représente les femmes comme des objets de décoration, incapables de se défendre ou de se débrouiller seules (c’était le cas de mon personnage : elle n’était active à AUCUN moment de l’histoire)
  • On l’a déjà vu un milliard de fois !

Et c’est bien à la fois la preuve que c’est néfaste au niveau sociétal, et que c’est une bonne chose de s’en débarrasser au niveau narratif.

C’est néfaste, parce que même moi qui réfléchit au sujet du féminisme, qui suis ingénieure et ait dirigé de petites équipes (toujours composées d’hommes), quand je pense à un mentor, je pense automatiquement, inconsciemment à un homme. Quand j’écris l’histoire d’un homme et d’une femme, l’homme se transforme en sauveur et la femme en victime.

Et d’un point de vue narratif, au final c’est aussi un signe de facilité. Je suis d’ailleurs persuadée que la majorité des auteurs/scénaristes/game designers ne sont pas fondamentalement sexistes (en tout cas, j’espère…). Simplement, quand on écrit, ce genre de schéma classique, c’est ce qui nous vient en premier à l’esprit. On le réplique inconsciemment parce que c’est ce qu’on connait le mieux. Résultat, on écrit exactement la même chose que tout le monde. On écrit des héros sur leur cheval blanc, des asiatiques forts en math, des méchants efféminés, etc…

Et même en mettant toute idée de responsabilité sociale de l’auteur.trice de côté, et bien c’est juste … ennuyeux à mourir ! Chiant, pas intéressant… Personne n’a envie de relire toujours la même chose ! Il suffit de regarder Shrek pour se convaincre que les lecteurs.trices ou spectateurs.trices adorent quand on subvertit leurs attentes.

Si ça vous embête de transformer un personnage masculin en personnage féminin « juste pour faire plaisir aux féministes », dites-vous que ça améliorera votre roman !

Dans la vraie vie, il y a des femmes super musclées, des asiatiques nuls en maths, des homosexuels hyper virils, des personnages âgées qui ont une sexualité débordante, etc… Une personne n’est pas défini par son origine ethnique, sa sexualité, son genre, son âge, son handicap, etc. Tenir compte de cette réalité, c’est s’assurer d’avoir des personnages profonds et attachants, pas simplement un amas de clichés sans forme.

 

Pourquoi c’est important ?

Je viens de le dire, se débarrasser des clichés sexistes, racistes, homophobes, c’est s’assurer d’avoir de meilleurs personnages et une intrigue plus originale, il faut suivre un peu !

En dehors de ce côté technique, j’aimerais parler de la responsabilité de l’auteur.trice. Les histoires ont un impact majeur sur la représentation du monde dans notre société (en particulier les histoires destinées à un public jeune !).

Utiliser un cliché sexiste/raciste/homophobe/etc, ça ne veut pas dire qu’on est soi-même sexiste ou homophobe. Par contre, ça veut dire qu’on entretient une certaine idée d’un groupe de personnes. Lorsqu’on écrit, on fait passer des idées, qu’on le veuille ou non ! On représente une certaine idée de ce qui est « normal » ou de ce qui est « bien » : par exemple, si le héros n’arrête pas de faire des blagues homophobes avec ses amis et que le sujet n’est pas vraiment traité, le public internalisera l’idée, à force de répétition, que c’est « normal » de faire des blagues homophobes.

A l’inverse, si on ajoute parmi ses personnages un couple homosexuel sans le présenter différemment d’un couple hétérosexuel, on renforcera l’idée que l’homosexualité fait partie de la « norme ».

Je suis persuadée que Plus Belle La Vie a apporté une des plus importantes contributions à la cause LGBT en France en faisant exactement ça, même si leur représentation n’est pas forcément parfaite.

C’est aussi pour ça que la notion de « représentation » est importante. Montrer des héros.ïnes qui différent du classique homme blanc cis-hétéro valide dans la force de l’âge, c’est reconnaitre que ces personnes existent et qu’elles ont aussi une « valeur », qu’elles sont elles-aussi capables de sauver le monde ou simplement d’avoir une vie intéressante…

Les auteurs.trices peuvent avoir un impact énorme sur notre société. Et comme qui dirait « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »…

Concrètement, qu’est-ce qu’on fait ?

Oui, je sais, ce n’est pas facile ! Même avec toute la bonne volonté du monde, on peut tomber dans des clichés. Même en voulant représenter des personnages issus de minorités, on peut faire de grosses erreurs, même empirer des représentations négatives. Alors comment on fait ? Vous vous doutez bien que je n’ai pas la réponse absolue à cette question mais voici quelques éléments :

  • Le faire malgré tout : on manque vraiment de diversité dans nos médias, et un peu de représentation maladroite vaut mieux que pas de représentation du tout (ce n’est pas une excuse pour faire n’importe quoi non plus !). Il n’y a qu’à voir les réactions à Wonder Woman et Black Panther pour comprendre à quel point avoir des héros.ïnes qui lui ressemble peut toucher et inspirer un public…
  • Simplement se poser quelques questions : est-ce que j’utilise un cliché ? Est-ce que mon personnage pourrait être différent ? Est-ce que je renforce des préjugés ou des stéréotypes ?
  • Faire des recherches lorsqu’on veut représenter un personnage différent de soi. C’est assez logique, si vous voulez écrire un personnage qui fait un métier différent du votre, vous allez vous renseigner sur ce métier. Si vous parler d’une culture différente, ne vous limitez pas à vos idées reçues ! Faire quelques recherches sur les clichés les plus utilisés vous évitera à la fois de manquer d’originalité et plus important, d’être offensant.
  • Éviter d’écrire un roman centré entièrement sur l’expérience d’une minorité qui n’est pas la votre (par exemple éviter de raconter la transition d’une personne transgenre si vous ne l’êtes pas vous-même). Ce conseil est discutable, (et discuté), mais disons que si vous n’êtes pas prêt à faire des tonnes de recherches, idéalement des interviews, à avoir des bêta-lecteurs ayant eux-même vécus ces expériences, etc, il reste plus sûr de choisir des intrigues qui ne sont pas basées entièrement sur ces expériences. C’est d’autant plus facile à faire en fantasy ou en science-fiction, il est facile d’imaginer un monde ou le sexisme et le racisme ont disparu et donc d’inclure des personnages de backgrounds variés sans avoir à placer la discrimination au centre du roman, etc.

Je conseille tout particulièrement les articles de Mythcreants qui soulignent les erreurs classiques qui peuvent faire passer des messages sexistes, homophobes, racistes, capacitistes, etc.

 

Et vous ? Vous vous considérez comme féministe ? Vous vous êtes déjà surpris.e à utiliser des préjugés racistes ou sexistes sans vous en rendre compte ? Vous mettez un point d’honneur à avoir des personnages les plus divers possibles ? Dites-moi tout dans les commentaires !

6 réflexions au sujet de “Comment j’ai écrit accidentellement des clichés sexistes”

  1. L’autrice Jenna Moreci fait des vidéos sur l’écriture sur YouTube, notamment une sur les pires « tropes » en fiction parmi lesquels elle évoque le fait de « tuer toute la représentation ». C’est-à-dire que souvent, on va faire l’effort d’inclure des personnages issus de minorités mais comme par hasard ce sont toujours ceux-là qui meurent les premiers ! Et en regardant sa vidéo … Je me suis rendue compte que dans mon roman en cours de préparation, 2 des 3 morts principaux étaient un homme noir et un homosexuel. Sans qu’il y en ait beaucoup d’autres dans le roman. Hum.
    Du coup j’en ai sauvé un des deux et je vais tuer quelqu’un d’autre ^^

    1. Il y a même un trope spécifique qui s’appelle « Bury Your Gays » qui décrit le fait que les couples homosexuels ont rarement droit à une fin heureuse, et au contraire plutôt à une mort violente, surtout au cinéma. Je n’avais jamais fait attention à ce cliché avant de lire quelques articles sur le sujet. C’est pour ça que j’aime bien le site Mythcreants, ils ont toute une série d’articles qui listent ce genre « d’erreur », ça peut faire gagner du temps (et éviter d’écrire des bêtises et/ou des clichés^^).

  2. Il y a quelques années, en relisant mon roman pour la nième fois, je me suis rendue compte d’un truc : pourquoi n’y avait-il que des personnages blancs ? D’une, ce n’était absolument pas justifié par le contexte ; de deux, ça allait à l’encontre de la cohérence interne (vu que j’ai un peuple qui voyage partout, donc bon, que des blancs c’était quand même étrange) ; de trois… je passais à côté de l’un de mes thèmes principaux.
    La plupart de mes persos principaux (persos féminins plus nombreux que les masculins, je pense) sont « restés » blancs, parce que ça aurait entraîné des arcs secondaires en plus, et mon cycle est déjà très dense… En revanche, j’ai modifié un certain nombre de personnages secondaires, ainsi que certains personnages principaux quand ça ne causait pas de trop gros chamboulements à l’univers/l’intrigue. Et je le trouve bien plus réaliste comme ça, du coup^^

    Et merci pour le site, je vais aller voir^^

    1. On est tellement habitués à voir toujours les mêmes personnages que ça en devient un réflexe…Et je pense qu’on loupe un paquet de supers histoires de cette manière. Mais c’est loin d’être évident de s’en rendre compte et effectivement si on réagit un peu tard ça peut demander beaucoup de boulot à corriger (pour moi le côté chevalier servant était à la base même de l’intrigue, j’espère avoir réussi à lui donner un twist différent à la fin, mais je ne pouvais plus m’en débarrasser sans… ben écrire un tout autre roman^^). Merci de ton témoignage !

  3. Haha! Ça m’a fait la même, alors que les questions de genre et la remise ne question de l’hégémonie sociale binaire sont au cœur de mon intrigue… L’ironie! Donc certains personnages masculins sont devenus des femmes (des Naines, surtout). Et je travaille à étoffer les personnages féminins, à leur donner davantage de poids et d’action.
    Bon, heureusement, ça se limite au premier tome, les autres sont plus équilibrés.
    Merci à tou.te.s celles et ceux qui se questionnent et prennent position! (Je pense que Netflix laisse de moins ne moins les gens ignorer ce type de problématiques.)

    1. Heureuse de voir que je ne suis pas la seule^^. C’est vrai que c’est d’autant plus frappant quand on essaie de base de faire attention à ce genre de choses, et c’est d’autant plus important de partager que tout le monde peut tomber dans ce genre de piège, et que le faire ne fait pas de soi une « mauvaise personne ».

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