Si vous avez lu mon dernier article, vous savez déjà que je me pose des questions sur le style en ce moment.
Je suis dans ma seconde phase de révisions sur mon roman, et si je suis à peu près sûre que mon histoire tient debout, je en suis pas si confiante à propos de mon style. Ce dont je suis certaine par contre, c’est qu’il s’est bien amélioré depuis que j’ai commencé à l’écrire (il y a 8 ans donc^^).
Ce n’est pas évident de déterminer ce qui vous fait progresser, c’est souvent graduel, un amalgame d’informations qu’on finit par digérer et intégrer, mais en y réfléchissant, je me suis rendu compte que j’avais beaucoup appris d’une ressource plutôt inattendue : Query Shark…
Oui, tirer des leçons d’écriture de médias qui ne sont pas fait pour ça, c’est en train de devenir ma marque de fabrique. Mais je crois que ça me plait^^.

Un peu de culture générale : les agents
Mais pour que vous compreniez ce que je raconte sur Query Shark, il faut d’abord que je vous parle du fonctionnement de l’industrie littéraire américaine…
Aux USA, un.e auteurice qui cherche à se faire publier ne contactera que très rarement les maisons d’éditions. Pour se faire publier là-bas, il faut d’abord trouver un agent, et c’est l’agent qui « vendra » le manuscrit aux maisons d’édition.
Le but de l’agent est donc de jouer l’intermédiaire entre auteurices et maisons d’édition, en échange d’un pourcentage de l’avance et des droits sur un roman (10 à 15% en général).
A quoi sert vraiment un agent ?
Vu qu’on s’en passe très bien en France, on est en droit de se demander quel est l’intérêt d’avoir un agent… Je ne suis pas une spécialiste, ni du côté français ni du côté américain, de l’industrie du livre, donc je ne vais pas vous faire une analyse économique ultra-poussée, mais je peux vous lister les avantages pratiques de ce systèmes.
- Pour la maison d’édition
Pour la maison d’édition, l’avantage est évident. Au lieu d’avoir à lire des centaines voir des milliers de manuscrits envoyés spontanément, souvent mal adressés, pas relus, etc, la maison d’édition ne reçoit que des manuscrits qui ont déjà été pré-selectionnés par un.e professionnel.le. Comme l’agent est payé en pourcentage, il ou elle n’a aucun intérêt à présenter des manuscrits qu’il.elle risquerait de ne pas pouvoir vendre à une maison d’édition.
Le travail de la maison d’édition est donc facilité, puisqu’elle ne recevra plus que des manuscrits d’un niveau de qualité assuré, correspondant à sa ligne éditoriale.
- Pour l’auteurice
On pourrait se dire que l’auteurice est perdant.e, puisqu’au final, c’est comme si on lui retirait 10 à 15% de son avance simplement pour faciliter le travail de la maison d’édition… En pratique, c’est plus compliqué que ça. L’agent est un.e professionel.le du livre qui va représenter l’auteurice. Par exemple, il ou elle aidera l’auteurice à négocier son contrat avec la maison d’édition, ce qui en soit peut valoir son pesant d’or ! Comme il s’agit de son métier, l’agent connaitra les clauses importantes ou non à négocier et sera probablement plus efficace que l’auteurice en terme de négociation…
Mais en plus de questions purement monétaires, l’agent sert aussi d’intermédiaire avec la maison d’édition et peut aider si l’auteurice a besoin de plus de temps pour corriger un manuscrit, n’est pas satisfait.e de sa couverture, etc.
En plus de cela, la plupart des agents ont également un aspect éditorial : ils ou elles aideront l’auteurice à améliorer son manuscrit avant de le soumettre aux maisons d’édition. Et, contrairement à la maison d’édition qui achète un livre à la fois, l’agent aura tendance à représenter l’auteurice tout au long de sa carrière. Cela signifie que l’agent pourra conseiller l’auteurice sur des décisions plus générales (rester dans le même genre, prendre un nom de plume, écrire tel ou tel trope qui peut ne plus se vendre actuellement), mais aussi l’aider sur ses prochains projets.
En tant que professionnel.le de l’édition, avec souvent un carnet d’adresse chez les éditeurices, et une bonne connaissance du marché et des contrats, l’agent réduit le déséquilibre de pouvoir entre l’auteurice et les maisons d’édition.
Un autre point à considérer : a priori les avances aux USA sont plus élevées qu’en France (j’aurais tendance à dire 10 fois plus élevées en moyenne, mais les chiffres sont difficiles à obtenir, donc je ne donnerai certainement pas ma main à couper^^). Il est possible qu’au final la maison d’édition américaine paye via des avances supérieures le coût de cette présélection qu’elle effectue en interne en France.
A priori, même si c’est loin d’être courant en France actuellement, la pratique serait en train de se répandre. Si cela vous intéresse vous pouvez lire l’article de Cindy Van Wilder sur le sujet.
Trouver un agent
Donc si vous avez bien suivi, la première étape pour une auteurice américaine après avoir fini son roman (et par « fini » je veux dire « écrit, et corrigé, probablement plusieurs fois »), c’est de dégotter un agent, qui a son tour ira soumettre le manuscrit aux maisons d’édition.
Mais encore une fois, le processus pour trouver un agent est assez différent de ce qu’on peut trouver en France. On n’envoie pas son manuscrit complet à un agent (sauf si on vous le demande^^), on envoie une « query letter« , une « requête » à l’agent.
Cette lettre doit faire une page (environ 300 mots ou moins) et adhérer à des règles assez strictes. Elle doit contenir un court résumé du roman (façon 4éme de couverture, le final n’est pas inclus), le genre et la longueur de l’œuvre, éventuellement quelques informations biographiques.
Si l’agent est intéressé, il ou elle pourra demander un extrait, voir même le manuscrit complet, et à partir de là pourra choisir de représenter l’auteurice.
L’objectif est de faire gagner du temps à l’agent : pas besoin de se taper un manuscrit avec des centaines de pages, en 300 mots il ou elle peut juger l’histoire et le style de l’auteurice. Le fait de demander le manuscrit permet de vérifier si le roman est effectivement à la hauteur de la lettre…
Query Shark
Oui, je sais, il m’a fallu du temps pour arriver au vif du sujet.^^
Qu’est-ce que c’est ?
Query Shark est un blog tenu par Janet Reid, un agent qui critique et corrige les query letters qu’on lui envoie.
C’est une ressource incontournable pour les auteurices américain.es, elle a un historique de plusieurs centaines de query letters, qui soulignent toutes les erreurs qu’on peut faire, que ce soit au niveau présentation et formatage (toujours commencer par la description du roman, réduire les phrases de politesses, le but est d’augmenter la facilité de lecture pour l’agent), mais aussi au niveau du contenu.
En plus de ça the Query Shark (« le requin ») comme se surnomme l’agent, est très drôle à lire. Alors oui, désolée, c’est encore en anglais…
Pourquoi c’est intéressant ?
On en revient toujours à la question : pourquoi je vous parle d’un blog en anglais qui critique des lettres de présentation à un format hyper spécifique rarement employé en France ?
- Un exercice très utile
Savoir résumer son roman en quelques centaines de mots est un talent très utile.
Je ne me suis pas encore intéressée dans le détail au processus de soumission de manuscrits aux maisons d’édition françaises (mais ça ne saurait tarder^^), mais même si on ne demande pas de « query » au même format, il est possible qu’on vous demande un synopsis ou une lettre de présentation. Si votre grand-oncle ou votre collègue de bureau, ou un journaliste vous demande de parler de votre livre, il faudra être capable d’en parler clairement en quelques phrases. Savoir résumer, c’est un exercice très particulier, auquel il peut être bon de s’entrainer…
- Diagnostiquer son roman
En plus de ça (et même pendant la phase d’écriture), être capable de résumer son roman, c’est aussi avoir une bonne idée de sa structure, de ses enjeux, etc… Si votre résumé est bancal, peut-être est-ce parce que votre roman ne tient pas bien debout….
Query Shark définit les questions de base auxquelles on doit répondre dans ce résumé pour attirer l’attention de l’agent (et donc du lecteur) :
Qui est le personnage principal ?
Que veut-il/elle ?
Qu’est-ce qui l’empêche d’obtenir ce qu’il/elle veut ?
Quel est le choix déchirant qui se présente à lui/elle ?
En résumé, si vous êtes capable d’écrire un résumé avec ces éléments, c’est que vous connaissez votre héros/héroïne, ses motivations, et les enjeux de votre roman. C’est schématique, bien sûr, mais efficace.
Faire cet exercice peut-être un moyen de diagnostiquer des problèmes dans votre roman : typiquement votre personnage principal n’est pas suffisamment actif, n’a pas de motivation à part réagir au scénario que vous lui avez imposé.
Voir la Query Shark critiquer les lettres est une bonne façon de mieux comprendre intuitivement ces éléments. D’ailleurs, il lui arrive elle-même de conclure en lisant une lettre que le problème ne vient pas de la lettre elle-même, mais probablement du roman.
- L’art de la concision
Les query letters comptent en moyenne autour de 300 mots. Imaginez compresser votre manuscrit de 100k mots à seulement 300 ! Cela signifie que chaque mot compte. Query Shark critique donc également la forme et le style des lettres qu’elle reçoit. Et elle est d’accord avec Albalat sur un point : pour améliorer son style, il faut à tout prix apprendre à être concis…
Cela ne veut pas dire qu’il faut écrire moins de mots en général, mais simplement qu’il faut supprimer chaque mot inutile. Et là-dessus, c’est très intéressant de voir les corrections qu’elle propose sur les phrases.
Par contre attention sur ce point, l’anglais et le français sont des langues différentes, tout n’est pas applicable directement… Mais beaucoup d’éléments restent valables : par exemple supprimer les idées redondantes, les verbes de filtrage (commencer, sembler, voir, etc, un de mes gros défauts^^), etc…
Je crois que lire ses archives m’a aidé à me débarrasser d’un de mes gros défauts (très courant chez les auteurices débutant.e.s), celui de vouloir faire de trop belles phrases. Comme beaucoup de gens, je m’écoutais écrire au début^^. Le problème, c’est que même si votre phrase est super belle et spirituelle, s’il faut que les lecteurices la relise trois fois avant de comprendre ce qu’il se passe, ils/elles vont rapidement arrêter de lire. Query Shark m’a aidé à voir ça, et surtout à voir comment découper et réarranger mes phrases pour régler le problème…
- Un format efficace
En fait, les archives de Query Shark sont simplement des exemples de ce que peut faire un.éditeurice professionnel.le sur un manuscrit. Il y a de « bons » exemples, où Query Shark n’a fait aucune correction, mais surtout des « mauvais » exemples (les plus utiles !) où on voit les ratures et les corrections en direct. Et justement, autant il est relativement facile de trouver des conseils théoriques (il faut réduire les adverbes, bannir la voix passive, supprimer les verbes ternes, etc), autant il est très rare de trouver des exemples avec littéralement les ratures au marqueur rouge sur le texte…
Personnellement, j’apprends mieux à partir de modèles, et la plupart des livres de conseils, non seulement parlent assez peu de style mais peuvent aussi être très abstraits. Là, avec Query Shark, on voit le détail d’un travail d’éditeurice, et c’est super intéressant.
Dans le même genre (et toujours en anglais… sorry^^), vous avez la série Lessons from bad writing de Mythcreants qui dissèque le premier chapitre de livres populaires et c’est aussi super intéressant…
Conclusion
Il y a quelques jours, mon compagnon m’a demandé pourquoi je passais autant de temps sur ce site, et basiquement j’ai écrit un article pour me justifier^^.
Souvent il est plus facile de comprendre les erreurs sur le texte des autres, et je pense que Query Shark m’a vraiment aidé à améliorer mon style. Et OK, j’avoue, le ton mordant de Janet Reid est plutôt divertissant^^.
Et vous, avez-vous déjà écrit des résumés/synopsis pour vos romans ? Qu’est-ce qui vous a aidé à faire progresser votre style ? Et si vous avez des ressources en français avec des éditeurices qui montrent les corrections qu’ils font sur des textes, je suis preneuse^^