Avant-propos : (c’est fou comme « avant-propos » fait tout de suite très sérieux, alors que ça signifie juste que j’ai un truc à dire avant^^)
Tout d’abord, toutes mes excuses à Gabriel Garcia Marquez pour ce grossier emprunt de titre^^ (et mes excuses à vous pour ne pas avoir réussi à mettre des alinéas en début de paragraphe…).
Je sais que tout le monde n’a que ce mot à la bouche en ce moment, et j’ai hésité à en rajouter une couche (et je comprends tout à fait si vous voulez passer votre chemin, faites-le avec ma bénédiction et un gros câlin de soutien moral). Mais parfois, on a des idées et c’est difficile de s’en débarrasser autrement qu’en écrivant. Parce que l’Art se nourrit de ce qu’on vit et qu’on ressent. Le coronavirus n’est pas du tout le thème de cette nouvelle, mais plutôt la toile de fond. En résumé, c’est un exercice de worldbuilding : je me suis penchée sur une activité qui doit être en baisse assez drastique en ce moment : l’adultère…
C’est le premier texte de fiction que j’écris depuis novembre dernier, je ne vous jure pas que ce sera un chef-d’oeuvre, mais c’est une grosse réussite pour moi d’avoir réussi à remettre la plume à l’encrier, autant vous en faire profiter. Et n’hésitez pas à nous mettre des liens dans les commentaires si vous aussi vous avez été inspirés, malgré ou à cause de l’horreur et de l’étrangeté de la situation.

L’Amour au temps du coronavirus
Affalé sur le canapé à côté d’elle, Marc renifla pour la quarantième fois depuis le début de la soirée. La télécommande à la main, il grommelait une fois de plus devant BFM TV, à propos des dernières annonces du gouvernement sur le confinement.
— Tous les jours, il faut la remplir cette attestation, tous les jours ! Même pour aller acheter du sucre à la supérette.
Il renifla encore une fois, longuement, bruyamment. Elle se retint de peu de lui balancer un paquet de mouchoirs à la gueule. Ce n’était pas comme s’il y allait, lui, à la supérette. C’était toujours elle qui faisait les courses, au Carrefour du centre commercial de la ville voisine, parce qu’il y avait plus de choix. Ce matin, c’était la première fois qu’elle était allée à la supérette depuis un bon moment. Elle avait dû faire la queue une demi-heure dehors, la mamie trois mètres devant elle lui jetant des regards suspicieux. À son grand soulagement, les rayons étaient à peu près pleins ici, rien à voir avec l’atmosphère de fin du monde du Carrefour le samedi précédent. Et surtout, ils avaient bien LE yaourt de la bonne marque, les seuls que Monsieur acceptait d’avaler, qu’elle avait totalement oubliés dans la panique de ses dernières courses. Au moins, elle éviterait l’incident diplomatique. Elle avait empilé rageusement les fameux yaourts dans le caddie, complété avec quelques bricoles, un paquet de pâtes bizarres qu’elle avait déniché au rayon bio, et elle s’était dirigée vers les caisses. Pas de queue aux caisses, mais des bâches en plastique, des marquages au sol et des masques sur les visages de tout le personnel. Elle n’avait pu qu’observer les biceps parfaitement moulés dans un t-shirt noir très seyant de l’homme qui tenait la caisse où elle passait. Elle avait sursauté quand il lui avait indiqué le montant, et elle avait été frappée par les yeux bleu intense au-dessus du masque chirurgical. Séduite. Aux pattes presque indiscernables qui s’étaient dessinées au coin des yeux, elle était certaine qu’il lui avait souri. Il s’était penché légèrement en avant pour lui rendre sa carte bleue, soulignant ses pectoraux, et elle aurait juré qu’il avait pris son temps. Elle avait eu envie de poser sa main sur son avant-bras, le muscle saillant de son biceps peut-être, mais en des temps pareils, on l’aurait plaquée au sol et expédiée fissa au commissariat.
Un bruit de trompette la tira de sa rêverie. Marc s’était mouché, avant de balancer son mouchoir usagé à côté de la poubelle. Et de l’y laisser. Le médecin lui avait juré, ce n’était pas le coronavirus mais un stupide rhume, mais à cet instant elle le regrettait presque.
Elle se leva brutalement et attrapa son sac à main.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il sans même tourner la tête de la télé qui montrait pourtant le même reportage sur la pénurie de papier toilette pour la quatrième fois d’affilée.
— Je vais faire les courses.
— Mais tu y es allée ce matin !
— J’ai oublié les tampons.
Il suffisait de parler d’hygiène féminine pour le faire taire immédiatement.
— N’oublie pas ton attestation, je n’ai pas envie de perdre 135 euros pour une boite de tampons.
Elle ne prit même pas la peine de répondre, et sortit en prenant soin de claquer la porte, ce qui faisait systématiquement trembler le meuble télé, et mettait Marc en rogne. Le blindage et le bruit de ses talons sur le faux marbre du couloir étouffa les protestations qu’elle savait fuser derrière la porte. Deux semaines comme ça dans ce 35 m², elle n’était pas sûre de les tenir. Il était 24 h sur 24 sur son dos. Même en bossant, en tant que commercial, il passait ses journées au téléphone à parler, parler… Pas une minute de silence.
L’air frais sur son visage lui fit du bien. Depuis tout à l’heure, elle ne pensait qu’à ces yeux bleus au-dessus de ce masque… Enfin, à ces biceps, plutôt. Elle faillit faire demi-tour, histoire de refaire son maquillage, peut-être de se changer, mais Marc risquerait de s’en rendre compte. Heureusement, il y avait encore un peu d’attente. Elle en profita pour remettre une couche de rouge à lèvres, et fit sauter un bouton de son chemisier quand elle fut sûre que personne ne regardait dans sa direction. En entrant, un coup d’œil furtif aux caisses lui assura qu’il était encore à son poste.
Elle fit trois fois le tour du magasin, étudiant avec soin ce qu’elle pourrait acheter. Certainement pas des tampons.
Lorsqu’elle parvint à la caisse, elle posa une unique culotte de soie noire sur le tapis, la plus légère qu’elle ait pu trouver.
— J’ai perdu la mienne, dit-elle en regardant droit dans les yeux bleus qui surplombaient le masque chirurgical.
Il ne détourna pas les yeux. Un bon point pour lui, elle n’aimait pas les timides et les saintes-nitouches.
On avait fait plus subtil comme approche, mais d’expérience elle savait qu’il valait mieux aller droit au but. Elle n’avait pas de temps à perdre en fausse pudeur et encore moins en sentiments. Elle prit son temps pour calligraphier son numéro, celui de son téléphone pro, sur un ticket restaurant. Pour lui laisser le temps d’admirer la dentelle de son soutien-gorge qui dépassait de son chemisier savamment déboutonné, mais aussi pour finir d’étudier la marchandise. Oui, définitivement, elle se fichait de se qui se trouvait sous ce masque en papier, tant qu’elle pouvait mettre la main sur ces pectoraux. Elle lui jeta un dernier regard aguicheur, fourra la culotte dans son sac à main et s’en retourna chez elle d’un pas guilleret.
Marc ne leva même pas les yeux du programme TV.
Il lui avait fallu moins de 5 minutes pour faire le chemin, mais elle avait déjà 3 SMS. Elle prit à peine le temps de les lire. En temps normal, elle aurait apprécié d’échanger quelques sextos, pour faire monter la température. Mais la situation était critique. Il était hors de question qu’elle se contente de quelques textos un peu hot, ou même d’une photo dénudée ou deux. Et dans les circonstances, malgré toute son expertise en matière d’adultère, le passage à l’acte allait être délicat. Pas question de faire une pause déjeuner coquine, ou de prétexter une séance shopping ou une soirée entre copines. Même Carla, son amie imaginaire dépressive toujours en pleine rupture, ne lui serait d’aucun secours. Il faudrait qu’elle soit plus maligne.
Il lui fallait un motif valable pour son mari, et pour la police.
Elle saisit une attestation sur la pile qu’elle avait imprimée en prévision et la parcourut des yeux. Achats de première nécessité. Bien sûr, elle pourrait le retrouver au magasin, pour une étreinte rapide dans les toilettes ou la réserve, mais elle n’était pas le genre de femme qui se fait culbuter sur un cageot de patates.
Déplacement professionnel, ça ne marchait pas non plus. Sa boite de marketing n’avait aucune raison de lui fournir une attestation, et lui pouvait se déplacer mais il ne pouvait pas venir chez elle.
Dommage, elle aurait aimé ça, baiser le caissier juste sous le nez de son mari, mais dans 35 m², à part à bourrer Marc de somnifères, ça ne risquait pas d’arriver.
Il lui fallait une idée. Déplacement pour l’assistance aux personnes vulnérables. Une idée germa dans son esprit.
Marc avait une vieille tante, sans enfants, qui vivait dans le quartier pavillonnaire de leur banlieue hors de prix. Cette vieille tante avait certainement besoin qu’on lui apporte du pain et des courses de première nécessité. Et elle avait à l’étage de sa maison une chambre de bonne avec un accès séparé, pour le moment inoccupée…
Il ne lui fallut qu’un instant pour passer à l’action.
— Mon cœur, tu devrais appeler ta tante, voir si elle a besoin de quelque chose.
Marc bougonna un instant, mais obtempéra. Il avait tout intérêt à cultiver sa relation avec la tante en question, et le savait pertinemment. Et comme prévu, la vieille avait une liste de courses longue comme le bras, alors qu’elle avait surement une aide de vie qui lui faisait déjà les courses plusieurs fois par semaine. Marc se renfrogna au fur et à mesure de la conversation téléphonique, qui n’en finissait pas. Avant qu’il n’ait le temps de déchaîner sur elle sa mauvaise humeur, elle posa sa main sur son bras.
— Ne t’en fait pas mon cœur, j’irai, j’ai besoin de me dégourdir les jambes.
Il se détendit immédiatement, satisfait qu’il pourrait passer sa soirée sur le canapé, comme tous les jours précédents.
Il ne lui fallut pas longtemps pour organiser les choses. Elle ferait les courses juste avant la fermeture. À la caisse, elle glisserait à son futur amant les clés de la chambre de bonne, qui étaient sur le petit meuble dans leur entrée depuis que Marc y avait refait quelques travaux de peinture pendant l’hiver. Elle poserait les courses dans le jardin de la vieille, ferait la discussion à distance pendant cinq minutes et le rejoindrait dans la chambre de bonne. Le plan parfait. Si Marc s’étonnait du temps où elle restait absente, elle n’aurait qu’à dire qu’il y avait la queue au magasin.
***
Le lendemain, elle était prête à partir quand Marc la retint. Elle craint un instant qu’il n’ait remarqué ses bas de soie ou son rouge à lèvres agressif, mais non.
— J’espère que tu t’es bien lavé les mains, ce serait une tragédie si la tante Hilda l’attrapait, dit-il en toussant ostensiblement, puis en l’embrassant.
— Une vraie tragédie.
Elle fit les courses, non sans pester pour les goûts ultra-spécifiques des personnes âgées. Il n’était pas à la caisse ce jour-là, peut-être était-il dans l’arrière-boutique ou en train de se préparer à partir… Elle se permit un petit frisson d’anticipation.
La tante Hilda l’attendait patiemment, assise sur le petit banc devant sa porte d’entrée, sa permanente d’un blanc éclatant scintillant au soleil de mars.
— C’est bien gentil de m’amener mes courses, ma petite.
— Mais c’est normal, Hilda, c’est le moins qu’on puisse faire, répondit-elle avec son sourire le plus naturel. Prenez bien soin de vous.
Elle déposa le sac à quelques mètres de la porte et fit mine de partir, mais la vieille ne l’entendait pas ainsi.
— Et j’espère que Marc va bien. Le travail à la maison, ça se passe comment ?
Vingt-cinq minutes. Elle lui avait tenu la jambe pendant 25 minutes. Ils devaient déjà être partis, le beau caissier et ses pectoraux en béton. Elle s’assura que la vieille était bien rentrée chez elle, et qu’elle ne s’attardait pas derrière ses rideaux, puis elle tourna le coin de la maison et gravit les quelques marches qui menaient à la chambre de bonne. Il était encore là. Il avait écarté le drap qui protégeait le petit lit de la poussière et de la peinture, et s’y était assis nonchalamment, une jambe croisée au-dessus de l’autre, pianotant sur son téléphone. Il leva les yeux quand elle ferma la porte, et sembla se rendre compte qu’il avait oublié son masque.
— Non, laisse-le.
Elle le débarrassa de son t-shirt en quelques mouvements et déboutonna son pantalon. Elle l’arrêta quand il fit mine de retirer sa robe, pas de temps à perdre. Elle lui jeta la boite de préservatifs qu’elle avait achetée une demi-heure plus tôt. Pas de trace. Elle pourrait la laisser sous le lit pour la prochaine fois.
— Comment allait-elle ? lui demanda Marc à son retour.
— En pleine forme. J’ai cru qu’elle n’allait jamais s’arrêter de parler.
Même pas besoin de mentir.
— Il faudra y retourner, la semaine prochaine, peut-être, ajouta-t-elle.
Préparer le terrain, en douceur, si jamais elle voulait revoir le caissier. Elle avait été satisfaite de ses services.
Il hocha la tête.
***
Deux jours plus tard, le téléphone sonna à 13 h. Elle avait les mains jusqu’au coude dans l’eau de vaisselle, et Marc daigna lever son cul pour décrocher.
— Oui, Tante Hilda, comment allez-vous ?
Il lui fit la conversation, avec toute cette jovialité fausse et commerciale dont il était capable.
— Oui, elle est là, mais elle est en train de faire la vaisselle. Je peux lui faire passer un message si vous voulez.
Il se tut un instant et haussa un sourcil, avec cette expression qu’elle trouvait irrésistible avant de l’épouser et qui lui donnait maintenant envie de l’étouffer avec un oreiller.
— Oui, bien sûr, oui, ce soir, je lui en parle tout de suite. Prenez soin de vous, dit-il d’un ton mielleux.
Il était tellement habitué à l’obséquiosité que même au téléphone, il ne se départissait pas de cet affreux sourire. Il reposa le combiné sur son socle.
— Hilda veut que tu lui apportes le pain ce soir. Elle a insisté pour que ce soit toi.
Le doute la saisit un instant. Pourquoi la vieille la réclamait-elle en particulier ? Se doutait-elle de quelque chose ? Mais elle chassa ces pensées immédiatement. C’était une vieille dame, en mal de compagnie. Elle avait dû apprécier leur conversation. Marc n’était pas le seul à savoir simuler l’intérêt et la politesse. L’affection, même. Elle était excellente actrice, depuis toutes ces années.
Elle protesta un peu.
— Tu sais bien qu’on ne peut pas lui dire non.
Bien sûr. L’héritage. C’était le moment où jamais de se l’assurer. Il n’avait pas besoin de lui dire. Et ça lui ferait toujours une excuse pour aller visiter la chambre de bonne, avec le caissier. Ou un autre.
La vieille l’attendait sur son banc.
— Bonjour Hilda, vous vouliez me voir ? Voici votre pain, dit-elle en le déposant sur la petite table de jardin qui rouillait dans le coin de la courette.
Hilda lui sourit, son sourire d’un blanc trop parfait de porcelaine au milieu de sa figure ridée. Elle sortit une boite en carton du panier posé à ses pieds, un mouvement lent et mesuré, qui lui parut durer une éternité. Une boite en carton. Une boite de préservatifs.
— Je suis peut-être vieille, mais je ne suis pas stupide, ni aveugle. Ni sourde, ajouta-t-elle avec une pointe de malice. Je sais que tu trompes mon neveu.
Ah la vieille salope. Elle ravala l’élan de colère avant qu’il ne s’affiche sur son visage et ne la trahisse. Actrice. Elle était excellente actrice.
— Oh Hilda ! C’était une erreur, si vous saviez comme je m’en veux…
Excellente actrice, elle savait même pleurer à la demande, sa meilleure arme.
— C’est le confinement, je me ronge les sangs, je ne sais plus où j’en suis, je ne voulais pas… Hilda… Je vous en supplie, ne dites rien à Marc, ça lui briserait le cœur, il n’a pas mérité ça.
— Oh ma petite, je me fiche si tu le trompes une fois, ou tous les jours. Ce cher Marc ne s’intéresse à moi que pour l’héritage de toute manière. Mais fais ce que je te demande, et je te promets que je ne lui dirai rien.
Du chantage. La vieille lui faisait du chantage ! Elle essuya ses larmes de crocodile et hocha la tête.
— Tu viendras me voir tous les deux jours au minimum. Tous les jours si je le demande. Je te téléphonerai pour te donner ma liste de courses. Tu resteras discuter au moins une demi-heure avec moi, et tu brosseras le chat, et ensuite tu iras porter le pain et le journal à Mme Kisger, de l’autre côté de la rue. Ses enfants habitent trop loin, et son aide-ménagère ne passe qu’une fois par semaine. Peut-être à Mme Berthauld aussi, un peu plus loin dans la rue.
Elle hocha encore une fois la tête, et écouta sagement Hilda lui parler de Carotte, son chat, qui perdait beaucoup trop de poils en cette saison.
Elle rentra en fulminant. Pour se calmer, elle se promit de toucher tout ce qu’elle pourrait au supermarché et de surtout ne pas se laver les mains avant de lui rendre sa prochaine visite. Elle ne se priverait pas de lui faire la bise si elle parvenait à l’approcher.
Dès le lendemain, Hilda appela avec trois listes de courses distinctes, pour elle et ses copines bonnes pour la maison de retraite. Ou le cimetière. Elle reposa le téléphone avec tellement de brutalité qu’il rebondit et tomba à terre. Contre toute attente, Marc se leva pour le ramasser et lui posa une main qui se voulait apaisante dans le dos.
— Laisse ma chérie, je vais y aller cette fois.
La surprise dut se lire sur son visage puisque Marc ajouta :
— C’est une bonne chose qu’elle se prenne d’amitié pour toi, mais je ne voudrais quand même pas qu’elle oublie qui est son neveu favori.
Avec une subtilité pareille, il ne fallait pas s’étonner que la vieille ait vu clair dans son jeu. Elle lui donna la liste.
Puis elle attendit son retour. Elle était presque sûre qu’Hilda ne dirait rien à Marc. Si elle caftait, elle ruinerait son beau chantage.
Elle ne put cependant retenir un soupir de soulagement quand Marc rentra, l’air plutôt content de lui. Il devait se sentir malin, à manœuvrer comme ça pour l’héritage alors que ses concurrents habitaient tous trop loin pour secourir leur pauvre vieille tante en ces temps difficiles.
Dans les semaines qui suivirent, Marc visitait Hilda un jour sur deux et elle le suivant, en plus de toutes les mamies du quartier chez qui Hilda l’envoyait. Elle y passait ses soirées, à traîner des chariots de course, promener des caniches puants et discuter interminablement de « la situation ». De quand ça allait finir. C’est bien la question qu’elle se posait. Quand est-ce que tout ça allait enfin se terminer ? Le confinement finirait bien un jour, mais rien ne lui disait qu’Hilda allait la laisser s’en sortir à si bon compte.
Heureusement, elle se vengeait en s’envoyant en l’air, bruyamment, au moins une ou deux fois par semaine. Tant qu’à payer pour un crime, autant en profiter à fond.
***
C’était au tour de Marc ce jour-là. Il était parti au milieu de l’après-midi, pour faire une pause dans le boulot. Il avait une réunion prévue avec un client à l’étranger, plutôt tard ce soir-là, et il voulait une coupure. Cela faisait plus d’une demi-heure qu’il était parti quand son téléphone professionnel se mit à sonner. Cet imbécile l’avait oublié. Elle jeta un coup d’œil sur l’écran. C’était un gros client. Très gros client. Le genre sur lequel Marc jouait ses primes et sa future promotion. Elle le maudit intérieurement, enfila un manteau, griffonna à la hâte la date du jour au bas d’une de ces foutues attestations de sortie et ferma la porte. Bien sûr, il ne répondait pas sur son portable personnel. À cette heure, il devait être sorti du supermarché, il devait déjà être chez Hilda. Elle s’y rendit directement. Leur cabas bleu à pois était bien dans la cour, mais Marc n’était nulle part en vue.
Le rideau bougea à la fenêtre, et Hilda apparut. Elle sourit, de toute la blancheur de son dentier flambant neuf. Non, elle ne souriait pas, elle riait même, elle se gondolait derrière son rideau, la vieille.
Et pendant qu’elle regardait Hilda se tordre de rire, l’image devint claire dans sa tête.
Il était en haut. Dans la chambre de bonne. Ils avaient eu la même idée, et Hilda les faisait chanter tous les deux.
***
Cela faisait bien longtemps que Hilda n’avait pas autant ri. Plus de deux semaines qu’elle les faisait chanter tous les deux et qu’elle les envoyait ravitailler tous ses amis. Elle se doutait bien que Marc allait débarquer, dès le début du confinement, elle savait qu’il allait venir jouer les lèche-bottes, saliver après l’héritage, et depuis le début elle savait qu’elle en profiterait. Ils étaient trop nombreux dans le quartier à être isolés, à ne pas avoir de famille à proximité. Si Marc voulait sa part du pactole, autant qu’il le mérite un peu. Même si elle n’avait pas prévu de lui donner le moindre centime. Ça faisait bien longtemps que son testament était dressé, toute sa fortune allait à une association pour la protection des personnes âgées isolées. Elle appréciait l’ironie. Mais quand Marc et son horrible compagne avaient tous les deux choisi de commettre leurs mesquins adultères sous son toit, elle avait été aux anges. Non seulement elle avait réussi à faire ravitailler, parfois gratuitement toutes ses copines, mais elle avait amusé tout le voisinage avec son couple d’esclaves. Martha et Berthe avaient même un pari sur lequel des deux craquerait en premier.
À l’étage, elle entendait des éclats de voix, et ce n’était clairement plus des cris d’extase. Ils passèrent en trombe devant sa fenêtre, l’un après l’autre, mais tous deux dans la même direction. Ils n’avaient pas le choix. Hilda referma le rideau avec un dernier gloussement. Ces deux-là se méritaient l’un l’autre. Encore au moins 3 semaines, dans 35 m².
Très drôle, merci pour le partage !
(et vivent les vieilles dames aux chats :))
Merci ! Je me suis bien amusée à l’écrire en tout cas. J’ai une vieille dame encore plus hardcore dans mon premier roman, il faut croire que j’ai un faible pour les vieilles dames avec un caractère bien trempé… (et j’ai un faible pour les chats aussi, aucun doute là-dessus^^)