Ces derniers temps, j’ai lu plusieurs romans de Brandon Sanderson (Elantris et la trilogie des Fils-de-brume), que j’ai énormément appréciés. Je viens tout juste de finir Warbreaker, et j’en profite pour vous faire (re)découvrir cet auteur de fantasy, surtout connu pour avoir été choisi pour finir la série de la Roue du Temps, mais aussi pour ses systèmes de magie originaux et bien construits.
Je vais donc répondre à la question habituelle que je pose quand je vous fait découvrir une œuvre ou un.e créateur.trice : qu’est-ce que ça peut nous apporter en tant qu’auteur.trice ?
Plusieurs années d’universités !
Brandon Sanderson enseigne régulièrement à la Brigham Young University, où il donne un cours d’écriture créative tout au long de l’année scolaire. Et il se trouve que ces cours sont disponibles sur Youtube !
Les cours des années 2012 et 2013 sont disponibles sur la chaine Write about dragons, ceux de 2015 sur la chaine BYUEnglish et ceux de 2016 sur la chaine Camera Panda.
Je vous recommande très chaudement de regarder ses vidéos, si vous comprenez un minimum l’anglais oral (et si vous avez un peu de temps devant vous, chaque année comptant une douzaine de cours d’une heure) . La qualité des vidéos n’est pas excellente (c’est à chaque fois un élève qui filme depuis la salle de cours), et il s’agit d’un vrai cours, avec des élèves en retard et parfois des questions de notes et de devoirs à faire, MAIS le contenu est vraiment passionnant.
Sanderson est très bon pédagogue (ça donne envie d’aller à l’université pour l’avoir comme prof !), et il couvre une tonne de sujets : comment créer son système de magie (c’est sa spécialité), mais aussi les types de personnages et d’histoire, comment faire un plan, la courbe d’apprentissage pour entrer dans un roman, comment gérer ses descriptions, etc.
De tous les conseils d’écriture que j’ai pu voir ou lire, c’est peut-être celui qui contenait le plus d’informations utiles et solides, pas sous forme de formule toute faites (comme dans Save the cat !) ou de description d’un processus personnel (comme dans le livre de Stephen King), mais comme une présentation des règles et des options qui s’offrent à un.e auteur.trice, avec les avantages et inconvénients de ces options, et les raisons de briser ces règles. C’est un vrai cours sur comment écrire un roman, avec des vrais morceaux de conseils utiles dedans. Miam.
Je ne pense pas que je ferais un article spécifique Utile ou pas ? sur les conseils d’écriture de Brandon Sanderson, puisqu’il n’existe pas de support « propre » et en français, et que je serais bien incapable de résumer les … dizaines d’heures de cours disponibles, mais en tout cas, si vous pouvez regarder faites-le !
Des Lois de la magie
Il y a les lois de la thermodynamique et il y a les lois sur la magie de Brandon Sanderson… Difficile de parler de Sanderson sans évoquer ses fameuses Lois.
Première Loi de la Magie de Sanderson :
La capacité d’un auteur à résoudre un conflit en utilisant la magie est directement proportionnelle à la compréhension qu’à son lecteur du système de magie.
Cette loi est basée sur le continuum entre deux types de systèmes de magie dans la fiction : les magies « dures » et les magies « douces » (avec toutes les combinaisons entre les deux). Les systèmes de magie durs sont ceux qui obéissent à un ensemble de règles très précises, alors que les systèmes « doux » sont ceux dont les règles ne sont pas bien définies. Typiquement, la magie dans le Seigneur des Anneaux est une magie douce : le lecteur n’a aucune idée de ce que Gandalf est capable de faire*et sous quelles conditions. A l’inverse, la magie des Fils-de-brume est une magie dure : ceux qui la pratiquent doivent ingérer le métal qu’ils utilisent, ceux qui manipulent le métal ne peuvent le faire qu’en l’attirant ou le repoussant par rapport à eux-même, etc. C’est un système de magie très précis, dont le lecteur connait les règles, et lorsque de nouvelles règles sont ajoutées, ce sont des pièces manquantes du système déjà existant, que le lecteur pourrait déduire si seulement il y réfléchissait un peu… En général, les systèmes « doux » apportent un niveau supérieur d’émerveillement mais fonctionnent mieux si le personnage principal ne pratique pas lui-même la magie.
L’idée sous-jacente de cette règle, c’est de ne résoudre les difficultés qu’avec des capacités magiques dont le lecteur a connaissance ou qui paraissent un prolongement logique de ce qu’il connait déjà. Dans le Seigneur des Anneaux, c’est effectivement le cas : Gandalf n’utilise quasiment jamais sa magie pour résoudre les problèmes rencontrés par la communauté. S’il se mettait brutalement à tirer des rayons laser à partir du troisième tome ou s’il se téléportait au bord de la fournaise au dernier moment, le lecteur se sentirait floué (comme il se sent déjà floué par l’apparition des aigles, qui pourtant ne résolvent même pas le conflit principal). Par contre, si l’héroïne arrive à combiner des pouvoirs qu’on connait déjà ou à les utiliser de manières innovantes par rapport aux règles en place pour battre le Grand Méchant, ce sera une fin très satisfaisante.
Deuxième Loi de la Magie de Sanderson :
Les limitations d’un système de magie sont plus importantes que ses pouvoirs.
Cette règle est assez simple : un système de magie doit forcément avoir des limitations. Les limitations permettent tout simplement de maintenir un niveau d’enjeu et de conflit dans le roman. Sinon Gandalf se téléporte au Mont du Destin, et l’histoire est terminée au bout de cinq minutes. En plus de cela, les systèmes de magie sont souvent très similaires dans leurs capacités et ce sont les limitations qui font leur intérêt : la télékinésie par exemple est ultra-courante, mais dans certains cas il faut prononcer certains mots, dans d’autres dessiner des runes, agiter une baguette ou je-ne-sais-quoi d’autre. Dans l’article qu’il a écrit sur le sujet, Sanderson en profite pour détailler quelques types de limitations possibles :
- Les limites : ce que le pouvoir ne peut simplement pas faire. Par exemple, les Fils-de-brume peuvent déplacer les objets par télékinésie, mais uniquement les objets en métal. Cela réduit immédiatement les possibilités.
- Les faiblesses : ce sont des éléments qu’un ennemi peut utiliser. Typiquement, la kryptonite est une faiblesse pour Superman. On peut aussi considérer que le fait de devoir prononcer à voix haute un sort est une faiblesse puisqu’un ennemi qui vous bâillonnera vous empêchera donc de pratiquer la magie.
- Le coût : certains types de magie impliquent de consommer une substance, comme l’épice dans Dune. Elles peuvent également saper l’énergie, réduire la durée de vie, etc. Le coût aura forcément un impact sur l’utilisateur de la magie.
Même si cette Loi est extrêmement simple, elle est aussi extrêmement importante. Si votre héroïne est super puissante, elle ne rencontrera aucun obstacle à sa hauteur, et l’histoire sera soit ennuyeuse, soit pleine de faux conflits où le lecteur se demandera pourquoi l’héroïne n’a pas résolu le problème d’un mouvement du petit doigt.
Il faut voir l’ajout de limitations comme une contrainte créative : ces limitations orienteront votre histoire et lui donneront sa personnalité…
Troisième Loi de la Magie de Sanderson :
Développez votre système de magie existant avant d’y ajouter quoi que ce soit de nouveau.
L’idée derrière cette loi est qu’il faut se retenir de créer 50 systèmes de magie dans le même univers ou 50 pouvoirs différents mais plutôt travailler sur un système et l’exploiter à fond. Un même système de magie pourra être utiliser différemment par différentes personnes ou différentes civilisations, par exemple.
Il y a plusieurs avantages à cela :
- Créer un monde plus détaillé et plus profond : il « suffit » d’évaluer l’impact d’un système de magie au lieu d’une dizaine sur votre monde. En plus si tous les utilisateurs de magie consomment la même plante, celle-ci deviendra une ressource importante alors que si l’un a besoin d’alcool, l’autre de peinture rouge et le troisième d’une baguette magique, l’impact sera dilué.
- Augmenter la cohérence thématique : si tous les pouvoirs sont basés sur un même système, à base de métal par exemple comme dans les Fils-de-brume, ces pouvoirs sembleront réellement issus du même univers, alors que si vous les multipliez, l’ensemble aura l’air chaotique
- Limiter les plot holes (youpi, un nouveau mot pour mon glossaire). Si vous limitez le nombre de pouvoirs, vous risquez moins de vous retrouver avec un personnage qui est en fait surpuissant si on y réfléchit un peu, ou un groupe de personnages capables de dominer le monde en une simple combinaison de capacités…
Par exemple, l’univers d’Avatar le Dernier Maitre de l’Air est basé sur quatre pouvoirs permettant de contrôler les quatre éléments. Il y a quatre pouvoirs, mais les quatre fonctionnent de la même manière (en réalisant un enchainement d’un certain art martial) et sont thématiquement liés. Les pouvoirs qui se rajoutent par la suite (contrôle du métal, du sang, de l’électricité) sont simplement des extrapolation des quatre pouvoirs déjà existant : un maitre de l’eau est capable de contrôler un corps humain, composé à un fort pourcentage d’eau.
Des systèmes de magie travaillés et une profondeur thématique
En plus d’être un excellent prof et théoricien, Sanderson est aussi un très bon auteur de fantasy. J’ai vraiment apprécié les livres que j’ai lu de lui, tout particulièrement la trilogie des Fils-de-brume.
En tant qu’autrice, j’ai trouvé ses livres très intéressants sous trois angles :
- Les systèmes de magie
Comme vous devez vous en douter vu le contenu de la partie précédente, Sanderson porte une attention particulière à ses systèmes de magie qui sont à la fois originaux et très réfléchis. Sanderson écrit plutôt de la magie « dure ». Dans Warbreaker par exemple, la magie est basée sur l’utilisation des couleurs et de l’énergie vitale humaine, et implique de toucher un objet, et donner un ordre à voix haute. A chaque fois, on découvre de nouveaux usages de la magie au cours des romans, qui sont parfaitement logiques et intégrés dans le système. Malgré le nombre de règles qui régissent ses mondes, leur présentation est toujours très agréable : on apprend juste assez pour suivre et vouloir en savoir plus…
- La subversion des attentes
J’ai été souvent surprise en lisant les romans de Brandon Sanderson. Ce n’est pas un spécialiste du retournement de situation flashy à la Shyamalan mais ses intrigues partent souvent dans des directions où on ne les attend pas. Dans certains cas, il s’agit d’un personnage qui n’est pas vraiment ce qu’on pensait (et ces retournements sont toujours très crédibles et bien préfigurés). Dans d’autres, c’est simplement le scénario qui prend un tour inattendu, et pourtant logique. Je ne vais pas vous gâcher la surprise, mais par exemple le tome 2 tout entier des Fils-de-brume n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais, tout en étant la continuation naturelle (et rarement traitée dans la littérature) du tome précédent. Sanderson cherche à explorer de nouveaux angles et le fait très habilement.
- La maitrise des thèmes
Brandon Sanderson est mormon et la religion est un thème récurrent dans ses romans. Étant moi-même athée, ça aurait pu diminuer de beaucoup mon plaisir à le lire (j’ai du mal à apprécier les louanges d’un dieu tout-puissant et bon qui aurait décidé de gratifier ma petite sœur, et beaucoup d’autres enfants, de tumeurs). Mais au contraire, j’ai vraiment apprécié cet aspect de l’œuvre de Sanderson. Il n’utilise pas ses romans pour asséner des vérités générales sur sa religion, au contraire il pousse ses personnages à réfléchir sur le sujet. Par exemple, un de ses personnages connait une crise dans sa foi après un deuil. Une autre est confrontée à une civilisation aux mœurs et croyances totalement différentes des siennes et apprend à les accepter. Un troisième se retrouve à douter de sa propre divinité, etc. Sanderson soulève beaucoup de questions intéressantes et n’y répond pas avec un marteau-piqueur.
Il applique également une règle que je l’ai vu évoquer dans un de ses cours : lorsqu’il soulève un débat, il ne se contente pas de faire réciter sa propre opinion au personnage principal. Il fait débattre plusieurs personnages, et met de VRAIS arguments dans la bouche des différents interlocuteurs. Pour lui, mettre des arguments caricaturaux dans la bouche du personnage contradicteur est une insulte à l’intelligence des lecteurs, et n’aura de toute manière aucune chance de convaincre qui que ce soit.
J’aime beaucoup cette approche du thème. Au lieu de choisir une thèse à défendre à tout prix (souvent un peu convenue du style « l’amour est plus fort que tout » qui choque rarement le lecteur), il choisit plutôt des questions qui n’ont pas de réponse évidente (par exemple « peut-on aller à l’encontre de ses convictions morales ou religieuses si c’est pour sauver sa propre vie, ou pour la sécurité de son pays ? ») et montre la réaction de différents personnages, en laissant au lecteur la possibilité de se faire sa propre idée.
En bonus : des défauts intéressants
Je ne suis pas non plus là pour faire une éloge absolue de Brandon Sanderson. J’ai beaucoup apprécié ses livres, mais ils ne font pas forcément partie de mes favoris non plus, et il a quelques faiblesses.
Entre autres, j’ai trouvé Elantris (qui est je crois son premier roman) un peu moins intéressant. J’ai du mal à identifier exactement pourquoi mais j’ai tout de même une idée. En le lisant, j’ai eu l’impression que les personnages principaux subissaient trop de revers. Chacune de leurs actions étaient systématiquement un échec ou en tout cas rapidement retournée contre eux, et à la longue c’est pesant pour le lecteur.
Quand on parle de structure du roman, on illustre souvent la tension par une courbe qui augmente petit à petit jusqu’au dénouement, mais dont la pente n’est pas régulière : elle augmente en moyenne mais il y a des hauts et des bas, des pics de tension et des moments d’accalmie. Dans Elantris, j’ai eu l’impression qu’il manquait les moments d’accalmie, et c’est la première fois que je vois un exemple qui me montre leur utilité de cette manière.
Et vous, est-ce que vous avez lu Brandon Sanderson ? Connaissiez-vous ses Lois de la Magie ? Qu’en pensez-vous ?