Ça fait une dizaine d’années que j’écris à peu près « sérieusement ». Pas vite, avec des pauses, mais j’écris. J’ai même terminé deux romans. Et je sais que je progresse.
Malheureusement, s’améliorer en écriture a ses avantages et ses inconvénients.

S’améliorer en écriture : les étapes
Je vais faire des généralités dans cet article, mais évidemment tout le monde est différent. Et évidemment, quelqu’un qui aura écrit deux romans par an pendant dix ans progressera de manière différente de moi qui n’en ai écrit « que » deux. Pas forcément plus vite d’ailleurs : certaines personnes peuvent n’écrire que des premiers jets et ne jamais les retravailler. Cela les fera progresser plus vite sur certains aspects de l’écriture, mais pas du tout sur d’autres. Chacun son rythme.
Forcément, je vais vous parler de ce que progresser veut dire pour moi.
Premier roman : objectif « The end »
Une des façons les plus évidentes de voir que j’ai progressé, c’est que mon second roman est plus « complexe » par beaucoup d’aspects.
Mon premier roman, La Muse aphone, était un roman policier contemporain, écrit à la première personne avec un seul point de vue, et son héros avait beaucoup de points communs avec moi (même s’il s’agissait d’un homme).
Il doit avoir beaucoup des défauts classiques d’un premier roman, parce que pour le premier roman, toute la difficulté est d’arriver à le finir. On se pose un milliard de questions : de « comment je construis une intrigue » à « mais comment je fais pour découper tout ça en chapitre ».
Chaque étape est une nouvelle découverte et une nouvelle épreuve, et forcément, on se retrouve à utiliser des « facilités » : certains personnages peuvent être presque littéralement des gens qu’on a croisé, on reprend accidentellement des clichés (y compris des clichés sexistes par exemple), notre héros a les mêmes goûts que nous, etc. Et j’ai utilisé tous ces raccourcis dans mon premier roman, même si j’avais réussi effacer certains de ces défauts dans mes révisions.
Second roman : le niveau d’au-dessus
Après avoir résolu la question de basique : « comment je fais pour finir un roman », l’horizon s’ouvre sur d’autres perspectives… Et d’autres questions !
Pour mon second roman, j’ai testé de nouvelles choses, que je trouve plus compliquées d’un point de vue « technique » :
Plus de points de vue
- Mon roman a trois points de vue différents, avec trois personnalités bien différentes, (et distinctes de la mienne même si elles en ont certaines facettes). Et je compte bien leur donner une voix et un regard sur le monde qui leur est propre !
Une narration qui n’est pas ma voix habituelle
- J’écris à la troisième personne, ce qui ne me permet pas de me reposer sur le ton un peu cynique (je ne sais pas si c’est le bon terme) que j’utilise par défaut, et qui est surement un peu trop inspiré de Desproges, Pennac, et Irving. En tout cas, ce n’est pas le mode de narration qui me vient le plus naturellement, et je suis obligée d’être très prudente de rester en troisième personne proche, et de ne pas devenir accidentellement trop détachée de mes personnages.
De la fantasy !
- Je me suis lancée dans la fantasy, et laissez-moi dire à tous ceux qui dénigre les littérature de l’imaginaire, que c’est techniquement plus difficile que d’écrire du contemporain ! Il faut à la fois construire un monde vivant et cohérent, (et original !) mais en plus, il faut arriver à transmettre toutes ces informations de manière claire, et sans ennuyer le lecteur. Eh ben oui, c’est dur. Alors bien sûr, pour n’importe quel roman on construit un univers et on doit le faire comprendre à son public, mais plus il y a d’éléments avec lesquels le public n’est pas familier, plus c’est difficile de garder la cohérence et de l’expliquer sans se transformer en cours magistral.
Des arcs à gogo
- Pour ce roman, j’ai réfléchi à mes thèmes à l’avance et je les ai travaillés, et j’ai donné des arcs narratifs à mes personnages principaux, mais aussi un arc de la relation entre deux des personnages. Et arriver à faire évoluer organiquement et naturellement la façon dont les personnages se comportent et interagissent, ce n’est pas évident. C’est peut-être facile pour les amateurices de romance, mais ce n’est pas mon cas, et j’espère que j’ai réussi à trouver une progression naturelle.
Alors, je ne dis pas que j’ai fait tout ça parfaitement. Je suis même à peu près sûre du contraire. Mais je sais aussi que je n’aurais pas été capable de le faire du tout au roman précédent. Voilà, je progresse…
Pour mon troisième roman, j’imagine que je suis partie pour un récit à la deuxième personne, avec une chronologie non linéaire ou quelque chose comme ça !
Progresser, mais où est le problème ?
L’ignorance bienheureuse
Vous pensez peut-être « on est content pour toi, mais et alors ? ».
Alors oui, il y a un côté obscur à tout ça.
Pour moi, l’effet Dunning-Kruger offre une bonne illustration au problème. C’est une idée qui est critiquée au niveau scientifique, mais le schéma est assez parlant en terme de ressenti, je trouve.
Le principe, c’est que moins on maitrise une discipline, plus on a l’impression de s’y connaitre, avant de progresser et de se rendre compte de l’immensité de son incompétence… Voir le très joli schéma fourni gentiment par Wikipédia !
En résumé : quand tu commences, tu ne sais rien. Tu es super enthousiaste, et tu as l’impression d’être super doué(e) et tout va bien.
Pour ma part, je ne pense pas que j’ai jamais eu l’impression d’être géniale (le gène de la confiance en soi ne m’a pas été transmis), mais au moins j’avais l’enthousiasme. En plus, personnellement j’adore apprendre des choses nouvelles, et au tout départ d’une nouvelle activité, on progresse très vite et on voit clairement cette progression. J’adore cette sensation.
Et puis il y a juste l’ivresse de la découverte, l’ivresse de se rendre compte qu’on peut juste aligner des mots et que cela fait une histoire. C’est dur, mais c’est gratifiant.
Mais ensuite, on passe un pallier où on a accumulé une certaine somme de connaissances, au moins théoriques. Et c’est là que les choses se compliquent : direction « La Vallée de l’Humilité ».
Surcharge d’informations et paralysie de la décision
Maintenant que tu as progressé, maintenant que tu as toutes ces belles connaissances sur la structure d’un roman, sur les thèmes et atmosphère, sur l’exposition et sur les arcs narratifs, et le dialogue, etc, etc, etc, cela peut devenir difficile de simplement coucher des mots sur le papier avec toutes cette cacophonie à l’esprit.
Il y a tellement d’éléments à prendre en compte depuis les aspects « big picture » avec l’intrigue et la structure, en passant par la caractérisation des personnages et le worldbuilding jusqu’au choix de niveau de vocabulaire et de ponctuation. Cela peut devenir paralysant. C’est difficile de tout garder à l’esprit, et on a toujours l’impression d’échouer sur un point ou l’autre.
En plus de ça, ce n’est pas parce que tu as conscience que tu devrais « show don’t tell » ou que tu devrais décrire la scène par les yeux de ton personnage que tu es capable de le faire. Il peut y avoir des moments où tu es capable de dire que tu n’as pas réussi à suivre telle ou telle règle fondamentale, mais où tu n’es pas encore forcément en mesure de le corriger de manière efficace.
Et c’est un problème que je rencontre sur ce second roman. Maintenant quand j’écris, je suis en permanence en train de me demander si ma troisième personne est trop « lointaine », si mon choix de mots est bon, si je n’ai pas mis assez de descriptions, ou trop, etc.
En me relisant, les passages que j’écris sont souvent bien meilleurs que ce que je pensais, mais cela rend le processus d’écriture beaucoup plus difficile et désagréable. J’ai eu infiniment moins de moments où j’étais purement immergée dans mon récit, où je réussissais à me laisser emporter par les mots. Et ça quand même un gros problème.
La solution : continuer à progresser ?
Peut-être que la solution, ce serait surtout de progresser encore. J’avais lu un article très intéressant sur la notion d’écart entre notre perception critique et notre habilité. Comme je disais juste avant, on peut être à un moment donné assez bon pour se rendre compte d’un problème (ce qui n’est pas le cas lorsqu’on débute) mais pas assez pour le corriger. Et c’est là qu’il faut remonter la pente de l’effet Dunning-Kruger, la « montée de l’apprentissage » du schéma.
Donc, s’améliorer encore.
Sauf que bon, j’ai lu beaucoup de livres, regardé beaucoup de vidéos, et maintenant j’ai l’impression de n’entendre que les conseils pour débutants répétés encore et encore…
Le meilleur apprentissage : la pratique
Je sais, à un moment, il faut arrêter de lire des conseils, et pratiquer. Bien sûr, j’ai pratiqué puisque je viens de finir une énorme phase de révisions de mon roman, mais pendant qu’il mijote entre les mains de mes alphas-lecteurs et avant d’attaquer une nouvelle phase de relecture, je teste quelque chose de nouveau.
Je me suis inscrite sur le forum Cocyclics, un forum d’écriture et de bêta-lecture réservé aux littératures de l’imaginaire (sur lequel je ne m’étais donc pas inscrite pour mon premier roman).
Je ne sais pas encore si je vais essayer de faire relire mon roman via ce forum, puisqu’il y a des règles et un process assez contraignant, mais j’aimerais en profiter pour pratiquer la bêta-lecture moi-même. En dehors de simplement écrire, ça me parait être une des meilleurs manière de s’exercer.
Si je ne me dégonfle pas rapidement (les forums m’intimident tout autant que les réseaux sociaux !), vous pourrez me retrouver sur Cocyclics avec le pseudo Hiéra pour changer.
En tout cas, j’ai déjà fait une première bêta-lecture, et j’ai trouvé le processus super intéressant (même si un peu trop stressant à mon goût…). Je suis même assez pressée de recommencer !
Et vous, comment est-ce que vous mesurez votre propre progression ?
Quelles sont les étapes significatives de votre progression ? Est-ce que vous aussi vous avez souffert du syndrome de « j’ai appris trop de choses et ça me bloque ? »
Est-ce que vous avez testé Cocyclics ? Une fois que j’aurais passé un peu plus de temps sur le forum, je ferais sûrement un petit article sur le sujet.
Je suivais ton blog et je suis contente de le suivre à nouveau.
Je suis dans une grosse traversée du désert à un moment où la différence entre la quantité de problèmes remarqués dans mon écriture et mes capacités à les corriger était tellement grande que j’ai tout arrêté.
J’ai mis mes manuscrits au placard, car ils ne valaient plus rien.
J’ai arrêté de relire d’autres personnes, car j’avais l’impression d’une hypocrisie involontaire de ma part.
J’ai arrêté les petits jeux d’écriture pour me faire la main.
J’ai arrêté mon blog.
J’ai arrêté de lire.
J’ai claqué la porte à plus d’une décennie d’écriture régulière, où mon cerveau était programmé pour des sessions matinales sans nécessité d’un réveil. J’avais déjà mes tics (habitudes, really ?) de travail dont j’ai balancé le sens de leurs existences dans la poubelle du refus de poursuivre.
J’aimerais y retourner pourtant.
Pour des raisons multiples et personnelles, logiques et illogiques.
Mais l’eau a passé sous les ponts, et j’ai peur d’y revenir.
Je me suis remise à relire et l’instinct de relecture et critique est revenu comme un boulet oublié.
Mes tics patientent sous mes doigts, mais la crainte de retrouver les mêmes erreurs et de ne pas satisfaire mon ancienne rigueur fait peur.
Voir les conseils répétés ad vitam me donne l’impression d’un surplace mal élevé.
L’ensemble me donne l’impression que si je m’y remets, ce sera pire qu’avant.
Rester face à un mur d’attentes trop hautes et de déceptions inévitables.
Alors, sache que ton retour ici me donne un peu de courage.
Merci.
Je suis vraiment désolée que tu rencontres une phase difficile comme ça et j’espère vraiment que ça va s’arranger.
Même si je n’en parle pas trop dans cet article, j’ai le même genre de problème dans une moindre mesure (même si ça a joué dans mon hiatus de plusieurs années). J’ai tendance à me demander si ce que j’écris (y compris sur ce blog) à la moindre valeur et à tomber dans un état d’esprit de « à quoi bon, de toute manière c’est mauvais ce que tu écris ».
Ce qui m’aide personnellement, c’est de me forcer à faire comme si je n’écrivais ce roman que pour moi et que personne ne le lira jamais. Si je l’écris seulement pour l’histoire et les personnages que j’aime, alors ce n’est pas grave si c’est mauvais. Forcément, ça marche mieux pendant un premier jet que quand je prépares pour des béta-lecteurs, mais ça m’aide. Avoir deux « cheerleaders » m’aide aussi, même si je sais qu’ils ne sont pas forcément objectifs. Pour les corrections, j’essaie de me concentrer sur un problème à la fois, et de lancer mon cerveau sur la piste de « qu’est-ce qu’on peut trouver comme solution intéressante » plutôt que de rester coincée sur « aaaaah c’est nul !!! ». J’aimerais bien que toutes ces techniques marchent parfaitement mais c’est pas tout à fait le cas 😀
Je n’ai pas essayé personnellement, mais j’ai déjà vu des gens conseiller de tenir un journal, parce que justement, c’est un moment où tu écris, avec la certitude que c’est juste pour toi et sans jugement extérieur, c’est même quelque chose que tu ne relis pas forcément. Peut-être que ça pourrait être un moyen de te relancer doucement dans l’écriture ? En tout cas de mon expérience, il faut se mettre le moins de pression possible, même si c’est plus facile à dire qu’à faire…
En tout cas, tu as tous mes encouragements, j’espère sincèrement que tu vas retrouver la joie d’écrire et je suis très touchée de ton message qui m’aide à lutter contre mon propre doute !